Tu Ha An - Illustration Onirique & Multiculturelle

La solitude du freelance créatif

Cet article NE parle PAS de la solitude due à l’isolement !

L’après-midi où la solitude m’a noyé

Je n’ai pas pu tenir ma promesse.

C’était mardi, 28 février 2023, le mardi qui vient de passer. J’étais toute motivée d’avoir enfin débloqué 30 minutes dans mon planning plein à craquer pour rédiger et envoyer le tout premier Creati’letter, ma newsletter mensuelle inaugurée il y a 2 semaines.

Mais tout de suite, je me sentais tétanisée en voyant qu’un bot a spammé l’inscription de ma newsletter, avec 600 nouvelles inscriptions, ou plutôt, 600 fausses inscriptions. J’avais l’impression que c’était des emails volés. J’ai immédiatement imaginé ces destinataires me signalaient directement comme spammeur, en recevant mon email de bienvenue, envoyé automatiquement à chaque inscription.

Une réputation est plus vite démolie que construite. Les 30 minutes prévues pour Creati’letter se sont transformées en 2 heures de recherche de solution avec la panique qui montait dans mon cerveau.

J’ai cherché sur Google. Il n’y avait que des solutions pour les particuliers qui reçoivent des emails indésirables. Aucune solution n’était proposée à ceux qui sont à l’autre côté de la barrière, ceux qui envoient et qui se font inonder par une liste d’emails non-souhaitée.

J’ai cherché la réponse dans mes réseaux d’entrepreneurs et d’illustrateurs. Très vite, j’ai reçu quelques mots d’encouragements, mais aucune issue.

J’ai cherché désespérément un expert en MailerLite, l’outil que j’utilise pour envoyer des emails. Cette fois-ci, je suis tombée sur une tonne d’articles de présentation de l’outil, de comparatifs entre les services, et de tutoriel d’installation.

Le bot continuait à s’inscrire à Creati’letter tous les 10 minutes avec une nouvelle adresse email. L’énervement et l’incompréhension m’étranglaient petit à petit.

C’était foutu pour ma première newsletter que j’avais promise à ma communauté. Je me sentais seule au monde, bloquée dans un trou rempli par des adresses mails.

Le coup de poing de la solitude

Je me sens rarement seule. Depuis 1 an et 4 mois de vie d’indépendante, la solitude n’a toqué à ma porte qu’environ cinq fois.

Mais à chaque fois, j’avais l’impression de recevoir un coup de poing d’un champion de MMA dans la tête. C’était surpris et violent.

Contrairement aux idées reçues, cette solitude ne vient absolument pas du fait que je travaille seule de chez moi.

Pour une introvertie avec un univers qui se construit dans sa propre imagination comme moi, travailler seule dans un environnement confortable, comme chez soi, est la condition parfaitement fertile pour ma créativité, ma productivité et ma sérénité.

Alors pourquoi ça m’arrive quand même de me sentir profondément seule ?

Le décalage entre le quotidien d’un créatif indépendant et de son entourage

Parce qu’il est difficile d’extérioriser nos problèmes

Souvent, quand on croise un collègue à la machine à café de son entreprise, il suffit d’un soupir et d’une phrase pour que le collègue comprenne notre problème. Puisque le collègue travaille dans le même environnement, il connaît le secteur, le contexte, il y a de fortes chances qu’il soit au courant des problématiques en cours, et qu’il connaisse nos interlocuteurs.

Et même si la personne en face n’est pas un collègue, elle peut facilement sympathiser avec nous quand on dit : « Mon chef m’exige à noter les heures d’arrivée et de départ chaque jour ! »

Alors que quand un freelance créatif exprime ces soucis à son entourage non-entrepreneur, il doit raconter tout le contexte, les enjeux, les solutions testées, pour que son interlocuteur puisse comprendre.

Quand on est sous l’emprise des émotions, comme mon cas ce mardi après-midi, c’est quasiment impossible d’extérioriser son problème de façon brève et simple.

Parce que nos problèmes sont parfois illégitimés

C’est le cas quand on commence à exprimer nos difficultés, et on reçoit la remarque : « Mais tu vis de ta passion, non ? Tu es libre, comparée à nous, salariés, qui sommes coincés avec un manager, un bureau, et l’embouteillage du matin. Pourquoi tu râles encore ? »

De temps en temps, certaines personnes nous disent même : « Ah bah, l’artiste a finalement compris que la vie n’est pas remplie que de roses ! Tu te fais rattraper par la réalité, hein ? »

Que ce soit une blague ou un vrai jugement, ces remarques arrivent très souvent aux créatifs indépendants, dont la viabilité de l’activité est encore considérée comme utopique ou élitiste. En recevant ces reproches à longueur de journée, les créatifs se sentent de moins en moins légitime d’exprimer leurs soucis ou leurs doutes.

Le décalage entre le spectateur et le créateur

Comme, généralement, le résultat du travail d’un freelance créatif est visible et publique, certaines personnes de notre entourage se croient comprendre tout notre métier de création.

Les attentes qui amplifient les doutes

La question qui revient très souvent à chaque repas de famille ou à chaque sortie entre potes est « Et alors, ça marche ? »

Dans l’ère où de nombreux créateurs débarquent et semblent accomplir un succès du jour au lendemain grâce à internet, des fois, notre entourage devient impatient.

C’est pour cette raison que nous recevrons les questions comme « Tu fais quoi de tes journées ? Comment ça se fait que tu n’as pas de nouveaux dessins ? » « Pourquoi tu ne fais pas plus de vidéos ? » « Pourquoi tu ne postes pas d’article de blog toutes les semaines ? »

Mais dans la vie d’un freelance créatif, la création n’est que la partie émergée de l’iceberg. De l’autre côté, il y a de la prospection, de la négociation de contrats, de l’administration, de la comptabilité, de la facturation, du développement de réseaux de partenaires, de l’apprentissage et d’entretien de compétences techniques et créatives…

Et dans la partie « création » est elle-même un iceberg !

Quand le spectateur voit un article de blog, il peut penser qu’il suffit d’écrire, d’ajouter les photos, et de poster, comme le cas d’une publication Facebook.

Alors qu’un article de blog comme le mien nécessite :

  1. La lecture des articles du même sujet pour essayer d’aborder le thème sous un nouvel angle
  2. La recherche de références pour renforcer les arguments
  3. L’écriture, en construisant une structure qui respecte les critères SEO
  4. La traduction (en anglais et en vietnamien)
  5. La correction (la plupart du temps, par mes éditrices)
  6. La création des photos, des montages, des illustrations, ou la recherche des exemples pour illustrer les propos.
  7. Le traitement des photos pour faciliter l’affichage sur le blog
  8. La mise en page pré-publication
  9. La publication

Et même, pour publier, voici toutes les étapes que je dois remplir avant que l’article soit visible sur ce blog (et comme j’écris dans 3 langues, il faut répéter le processus 3 fois.) :

Tous les freelances n’ont pas conscience de la quantité de travail qu’ils endossent pour chaque vidéo, chaque article de blog, chaque dessin, ou chaque chanson, vu que c’est un travail de passion. Alors face aux questions de leurs proches, ils ne peuvent que répondre : « Euh… Vous savez, ça prend vraiment beaucoup de temps… » , et se douter ensuite de leur capacité et de leur productivité.

Les conseils non-applicables

Vu qu’il y a de plus en plus de créateur.trice.s à succès qui partagent leurs coulisses, ça arrive que notre entourage nous propose des solutions appliquées par ces artistes, avant de comprendre tous les éléments qui mènent à leurs réussites.

« Tu n’as qu’à dessiner le portrait des grands influenceurs et à les taguer sur Instagram pour avoir plus de visibilité et de clients ! »

« Il faut que tu t’installes à Paris, là où il y a des grands studios pour décrocher un contrat. »

« Pourquoi tu ne fais pas un crowdfunding pour auto-éditer ton livre ? »

Ces conseils sont tous de bons conseils. Mais ils ne sont pas applicables à tous les créatifs.

Quand un conseil vient d’une bonne intention, il est difficile d’expliquer pourquoi on ne peut pas (ou ne veut pas) l’appliquer, sans vexer la personne, ou sans entrer dans des explications de situation et de stratégie qui peuvent durer jusqu’à 15 minutes. 

Par exemple, pour la question concernant d’auto-édition, l’autrice-illustratrice Cy. a fait une vidéo d’explication très complète (pour ceux qui parle français). C’est clairement difficile d’expliquer tous ces aspects sans transformer une conversation entre potes en un cours sur l’édition, ou en un débat non-souhaité.

La solitude n’apparaît pas parce que je travaille seule…

« Tu travailles seule dans ton coin, alors bien-sûr que tu te sens seule. Tu parles avec d’autres êtres vivants que ton chat dans ta journée ? Est-ce que tu sors de chez toi tous les jours ? Depuis quand tu n’as pas vu de nouvelles personnes ? »

C’est ce qu’un ami m’a dit, directement après que je lui ai avoué que je me sentais seule, bloquée dans un trou rempli d’adresses mail non-sollicitées.

Tout ce que je ressentais en entendant cette remarque, c’est… de la solitude.

Avec les réunions de travail, les appels clients, et les formations, évidemment que je parle avec d’autres humains tous les jours.

Entre l’envoi des illustrations, les rencontres clients, les salons de livres, les ateliers, les rendez-vous avec les conseillers, les courses, le sport, je suis obligée de sortir tous les jours.

La semaine dernière, je venais de rencontrer au moins 5 entrepreneurs que je ne connaissais pas, dans un évènement pour les indépendants de la région. La semaine prochaine, j’irai au Drink and Draw de ma ville, où je suis certaine de rencontrer au moins 5 nouveaux dessinateurs. Alors que quand j’étais salariée, avec le train-train quotidien, il fallait 3 mois pour que je puisse rencontrer 10 nouvelles personnes.

La solitude n’apparaît pas parce que je travaille seule.

La solitude vient de l’incapacité de partager mes difficultés, mes doutes, mes craintes avec des personnes que j’aime le plus.

Comment atténuer la solitude du freelance créatif ?

Si la solitude vient du décalage entre son entourage et soi, elle risque toujours de revenir, puisque plus on avance, plus le décalage sera grand. (Sauf si on change complètement d’entourage, mais ce n’est certainement pas mon souhait…)

Comme je disais plus haut, en 1 an et 4 mois, je ne me sentais seule que 5 fois, au maximum. L’arrivée de la solitude fait aussi mal qu’un coup d’un champion de MMA, mais il ne m’a jamais mis K.O.

Si j’arrive toujours à me relever rapidement sur le ring, c’est grâce à ces 3 piliers :

1.     Des personnes qui écoutent et acceptent mes problèmes

J’ai 3 personnes à qui je partage toutes mes idées créatives, en toute confiance. J’ai de la chance et je suis reconnaissante que ce soient des personnes à qui je peux aussi raconter mes soucis les plus extravagants, les plus bêtes, ou les plus flous. Quel que soit le problème, ils ne me l’ont jamais illégitimé.

Des fois, ils m’aident directement à trouver une solution, ou un expert sur qui je peux compter. D’autres fois, ils sont juste présents, physiquement ou par appel, pour un câlin qui m’aide à retrouver la tête froide.

2.     Le conseil des personnes qui ont une vision d’ensemble de l’entreprenariat ou de la vie créative

Je me souviens encore de mon angoisse lors du point avec ma conseillère Pôle emploi, 6 mois après que j’ai quitté mon ancien travail salarié. J’avais peur de la question « Comment ça se fait que vous n’ayez pas de client, alors que ça fait déjà 6 mois que vous vous êtes lancée ? »

Contre toutes attentes, elle m’a dit : « Vous avez réussi à construire votre site internet, lancer un blog, analyser le marché, construire les offres, identifier des clients potentiels et rejoindre une coopérative en 6 mois ? Mais… vous êtes rapide ! »

La plupart des gens ne savent pas qu’il est assez habituel qu’un freelance ne puisse pas se payer dès les premiers mois de son activité. Et parmi ces gens, j’inclus « nous », les freelances créatifs.

Ma conseillère Pôle emploi m’a expliqué qu’un freelance dans mon domaine a besoin en moyenne de 12 à 18 mois pour commencer à être rentable. Elle m’a également rassuré que la plupart des indépendants ont besoin de 9 mois pour finaliser toutes les étapes que j’ai accomplies en 6 mois.

Comme cette superbe conseillère ne pouvait pas m’accompagner plus longtemps, j’ai trouvé deux autres experts qui m’accompagnent dans mon aventure de freelance créative. Ce sont Pierre Bourzama, un accompagnateur de la coopérative CAE Bourgogne, qui a accompagné plusieurs générations d’entrepreneurs dans plusieurs domaines, et Chi Nguyen, docteure en éducation, autrices, blogueuse, podcasteuse, YouTubeuse. 

3.     La question magique

« Est-ce que dans 10 ans, ce souci, qui me fait sentir si seule, continuera à me déranger ? »

Dans la plupart des cas, la réponse est non. Soit parce que le souci semble tellement banal sur l’échelle de 10 ans, soit, parce que je suis certaine de trouver la solution avant la semaine, le mois, ou l’année suivante.

Ainsi, cette solitude partira.

Comment soutenir un freelance créatif ?

Évidemment  que je n’écris pas cet article pour faire « Ouin, ouin, nous nous sentons seule car nos proches ne nous comprennent pas, nous sommes tellement des artistes incompris ! »

La plupart du temps, les personnes de notre entourage sont inquiètes pour nous, ou impatientes, ou juste curieuses, avec plein de bonne volonté.

Alors, si vous avez autour de vous un freelance créatif, et vous voulez prendre ses nouvelles, ou l’aider, sans paraître intrusif, avec 3 façons simples et efficaces :

1.     « Est-ce que ça avance comme tu le souhaites ? »

Cette question est beaucoup plus agréable à recevoir que « Alors, ça marche ton truc ? »

La question reste assez ouverte et permet au freelance de partager avec vous quels sont ces souhaits, où il en est et quels sont ces problèmes actuels.

2.     L’écouter et accepter ses problèmes

Si le freelance commence à parler de ses problèmes avec vous, c’est parce qu’il a confiance en vous et qu’il a besoin de votre soutien.

Le meilleur cadeau que vous pouvez lui offrir est un espace de confiance, sans jugement.

Des fois, extérioriser son problème est tout ce dont le freelance a besoin pour retrouver la tête légère.

3.     « Depuis quand tu rencontres ce problème ? Tu as essayé quelles solutions ? »

Même si vous avez envie d’aider le freelance à tout prix, avant de vous précipiter à donner des conseils, et de demander pourquoi le freelance n’a pas essayé tel ou tel solutions, posez-lui les questions pour comprendre le contexte, et les chemins par lesquels il est passé.

Souvent, dans l’urgence et dans la panique, le freelance créatif peut perdre de vue sa grande vision. Le fait de répondre à ces questions l’aidera à poser à plat l’ensemble des pièces du puzzle.

Des fois, il trouvera la solution tout seul, après avoir retrouvé la vue d’ensemble, grâce à vos questions, vos écoutes, et surtout, grâce à votre bienveillance.

Quant à moi, maintenant que la solitude est partie, je suis sûre que je trouverai rapidement une solution pour cette histoire de newsletter ! Creati’letter is coming!

Keep creating!

Tu Ha An

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