Tu Ha An - Illustration Onirique & Multiculturelle

Idée de création : faut-il en parler ?

Au début de mes vingt ans, j’ai lancé un projet créatif de grande envergure, avec un petit budget mais un grand espoir et surtout une énorme dose de passion. Après avoir trouvé une idée de scénario qui semblait être géniale, j’avais envie de la partager avec quelques-uns de mes amis. Mais mon chef de projet m’a tout de suite freiné :

« Ne fais pas ça ! Tes amis ne connaissent rien de la création. Ils vont juger notre idée, de façon infondée en plus ! »

« Ne t’inquiète pas, je vais en parler uniquement avec les camarades scénaristes. » – j’essayais de le rassurer.

« Non, surtout pas ! Ils vont voler notre idée ! »

A ce moment-là, je n’étais pas d’accord avec lui mais je me taisais. Je pensais qu’une personne expérimentée comme mon chef de projet avait sûrement raison (et aussi parce que je n’osais pas entrer en conflit avec lui).

Le projet avançait en mode TOP SECRET avec une équipe strictement réduite. J’aimais toujours ce projet mais bizarrement, mon espoir et ma passion étaient remplacés petit à petit par les doutes et la frustration. A l’époque, je pensais que c’était dû à mon jeune âge, ou à mon manque d’expérience, ou peut-être c’était juste mon absence de confiance en soi qui se manifestait.

Notre idée était tellement précieuse qu’il fallait que nous travaillions de façon acharnée pour la développer et la protéger.

Peut-être que cela vous parait logique…

Mais en réalité… Votre idée précieuse n’est pas si précieuse tant que vous la cachez dans votre tête.

Ici je ne mentionne pas l’attachement que vous pouvez développer avec votre idée puisqu’elle vient des souvenirs ou des personnes qui vous sont chers, ou qu’elle s’aligne parfaitement avec vos valeurs.

Je parle du fait de considérer son idée comme un objet précieux que nous ne laissons personne toucher, de peur que les autres le salissent, et que nous ne voulons montrer à personne, de peur qu’on nous le vole.

Que veut dire « précieux, précieuse » ?

Voici comment Larousse définit l’adjectif « précieux, précieuse » :

  • Qui est d’un grand prix
  • Dont on fait grand cas, qui est important
  • Qui rend de grands services 
  • En art, qui présente un caractère de grande délicatesse, de brillant, voire de richesse.

En nous basant sur cette liste, il est difficile de juger si une idée est précieuse ou pas sans le produit ou l’œuvre issu de cette idée. 

Déjà, les idées qui paraissent géniales ne débouchent pas forcément sur des innovations ou des chefs-d’œuvre.

D’ailleurs, une idée que nous trouvons unique peut très bien être inventée par quelqu’un d’autre. Dans le livre Comme par magie, Elizabeth Gilbert a identifié ce phénomène comme une version artistique de la découverte multiple (une expression utilisée dans le milieu scientifique), quand plusieurs personnes ont les mêmes idées au même moment. Ils n’ont jamais entendu parler de leurs travaux respectifs et ils peuvent vivre dans différentes régions du monde.

Ce qui fera la différence, ce n’est pas l’originalité de l’idée, mais la manière dont elle sera mise en œuvre. Une idée est comme une graine, elles doivent germer, pousser, se nourrir pour devenir quelques choses remarquables, d’où l’importance de mettre sa graine dans un milieu fertile.

Et comment pouvons-nous créer ce milieu ? En parlant de notre idée.

Ce que vous allez gagner en partageant votre idée

1.     Polir sa perle

Ça vous est déjà arrivé d’avoir une idée qui a l’air parfaitement claire dans votre tête, mais une fois verbalisée devant une autre personne, vous la trouvez tout de suite toute floue ? Ce n’est pas forcément parce que votre idée n’est pas bonne, mais des fois, en essayant de l’expliquer, vous vous rendez compte des détails qui clochent. Les questions de la part des autres peuvent également vous aider à détecter les failles dans la structure, les incohérences, voire les problèmes de faisabilité à étudier. Confronter votre idée à la vision des personnes qui viennent des horizons différents vous permet aussi de voir votre idée sous plusieurs points de vue.

Je me souviens du moment où j’ai dévoilé le croquis des personnages de mon mini BD à mon colocataire, il a tout de suite montré l’un d’eux en disant : « Elle ressemble à un Pokémon ! », en me faisant découvrir le Pokémon en question. Evidemment, ce n’est pas agréable d’entendre que son personnage ne semble pas être original. Mais n’ayant pas la même culture que lui, je ne pourrai jamais me rendre compte toute seule de cette similitude.

Bien sûr que toutes les remarques ne sont pas à prendre à la lettre, mais vous aurez plus de données à analyser afin de renforcer votre idée de base.

Revenons au projet artistique sur lequel notre équipe a travaillé des mois en secret. Dans cet œuvre, la fête du Têt est un événement clé du scénario.

Au moment de la publication, j’ai reçu plusieurs messages privés de la part de notre audience qui me demandaient timidement ce que c’était la fête du Têt.

La fête du Têt est le nouvel an vietnamien. Notre public cible était principalement français, ils avaient l’habitude d’entendre parler du « nouvel an lunaire » ou du « nouvel an chinois », c’était presque évident qu’ils ne savaient pas ce que c’était le Têt. Vu que notre équipe était composée de Vietnamiens, nous n’avions même pas pensé à expliquer ce concept si évident (pour nous). C’est dommage, car il suffisait d’en parler à un français lambda, qui n’a pas le nez dans le projet pour nous rendre compte de ce détail.

Partager votre idée ne vous aide pas seulement à la rendre plus précieuse en la perfectionnant. En parler vous aide aussi sur le plan motivationnel.

2.     Jauger si vous êtes prêts à défendre votre idée

Quand l’auteur-réalisateur Guillaume Desjardins partage son idée, le contenu des avis n’est pas forcément le plus important pour lui. Le moment où il est face à une personne qui ne croit pas en son idée, s’il sent l’envie de défendre son idée, il ira jusqu’au bout de cette idée malgré tout.

Mais si sa propre réaction est « Ah oui, ce n’est pas faux… » , alors pour lui, cette idée n’est pas si précieuse que ça. Car si nous ne sommes pas encore devant des obstacles réels et des imprévus et nous n’avons même pas envie de nous battre pour cette idée, c’est tout simplement parce que même pour nous, l’idée ne vaut pas le coup d’être développée.   

3.     Mesurer votre passion

Quand vous choisissez de parler de votre idée, vous acceptez de la confronter avec des retours positifs comme négatifs. Votre excitation risquera de baisser.

Comme quand vous tombez sous le charme d’une personne et vous la trouvez tellement parfaite, puis vous découvrez toutes les facettes de cette personne avec ses points forts, points faibles, ses doutes, ses secrets, ses envies, son passé et sa mentalité…

Avez-vous toujours envie de traverser la vie avec cette personne ?  Avez-vous toujours envie de réaliser cette idée ?

Vous seuls pourrez y répondre.

4.     Obtenir de l’encouragement au bon moment

Personne ne pourra être sûr à 100 % de son idée à tous les stades. La création est un processus rempli de questionnements, de choix à faire qui ne suivent pas forcément une logique et qui ne sont pas guidés par les règles.

L’auteur-réalisateur François Descraques disait dans la vidéo 10 Astuces d’écriture : « Souvent, on a juste besoin d’un petit encouragement pour aller au bout de sa propre idée. »

Comment pourrons-nous obtenir cet encouragement si nous n’avons partagé l’idée avec personne ?

Quelques années plus tard, j’ai compris d’où venaient mes doutes et ma frustration lors du projet qui est censé être ma grande passion. Le fait de travailler sur ce projet me donne l’impression d’être un cheval avec les œillères. Elles n’empêchent pas le cheval d’avancer, mais le cheval ne peut pas percevoir son environnement. Porter les œillères est peut-être nécessaire pour un cheval, mais pour un créateur, je ne pense pas que c’est la meilleure idée.

Bien sûr que nous ne sommes pas dans le monde des Bisounours. La crainte d’être jugé et l’envie de protéger son idée contre les plagiats sont bien réelles, d’où l’importance de choisir avec qui partager son idée.

Le choix des confidents

Quand j’étais à l’école primaire, je me suis promise d’arrêter de partager mes idées avec les autres. Car le peu de fois que j’ai fait, voici les réactions : « Tes pensées sont trop bizarres ! » ; « Arrête de dire ça, il ne faut pas que tu penses comme ça ! » ; « Ces idées sont inutiles, concentre-toi sur tes devoirs ! »…

Une fois devenue adulte, il y avait une période où je n’avais pas envie de parler de mon idée, car à chaque fois, mon entourage de l’époque me répétait que peu importe ce que je faisais, l’importance restait d’abord fonder une famille.

Dans la vidéo 10 Astuces d’écriture, François Descraques a aussi précisé :

« Il faut trouver la bonne personne à qui pitcher son idée. Quelqu’un qui est attentif et surtout qui sait rebondir sur les idées, qui sait être réceptif et qui ne va pas vous casser. (…) Personne ne gagne à ce qu’une idée soit brisée dès le départ. »

Les critères pour choisir la bonne personne dépendent de l’envie et du besoin de chacun. Aujourd’hui, à chaque fois que j’ai une idée qui me stimule, je parle presque systématiquement à trois personnes :

  • Mon amie d’enfance, qui a plusieurs expériences similaires aux miens. Elle n’a donc pas de mal à comprendre mon raisonnement. Travaillant dans le milieu scientifique, elle prend souvent le rôle de la tacticienne pour élaborer la structure et maximiser l’impact de l’idée ;
  • Mon partenaire de vie, qui vient d’un horizon complètement différent du mien et qui ne fait pas partie de mon public cible pour la plupart de mes projets. C’est pour ces raisons qu’il pose toujours les questions auxquelles je n’ai pas pensé. Il apporte les connaissances et les perspectives d’un autre milieu qui permet de renforcer l’idée d’une façon originale. Et s’il n’est pas d’accord avec mon idée ? Si je me sens prête à la défendre devant lui, la personne pragmatique qui tient à moi, je sais que l’idée mérite de prendre vie ;
  • Ma sœur de cœur, une personne qui n’a pas toujours la même mentalité que moi, mais qui me soutient inconditionnellement.

Ça m’arrive bien sûr de parler de mes idées avec d’autres personnes en respectant toujours une règle : si le sujet risque de créer un conflit entre la personne et moi, alors je ne lui en parlerai pas.   

 « N’oubliez pas que les conseils de votre entourage sont données dans les croyances qui forment votre bulle commune. N’hésitez pas à en sortir pour observer votre monde différemment. » (Fabien Olicard, Votre temps est infini, p.96)

Et le risque du vol dans tout ça ?

Parmi les personnes à qui vous avez partagé votre idée, même s’ils l’ont trouvée excellente, combien verront l’avantage de vous la piquer ? Parmi ces personnes, combien auront les moyens et les connaissances pour l’exécuter ? Et parmi eux, combien seront prêts à passer à l’acte avant vous ?

« Si quelqu’un vole votre idée, il n’aura jamais la même passion que vous car elle ne vient pas de lui. »

(Joel Gascoigne, PDG de Buffer)

Soyons réalistes, malheureusement, même les peintures déjà exposées, les livres déjà édités, les  musiques déjà publiées, les films déjà diffusés… n’échappent pas du risque d’être plagiés. 

Lors d’une interview, quand l’animateur aborde le problème des plagiats, Raphaël Descraques, acteur et réalisateur, a partagé une mentalité qui est pour moi libératrice : si quelqu’un lui vole son idée et réussit à en faire un film à grand succès, il restera un voleur pour toujours. Raphaël perd une idée mais il en aura plein d’autres, car il est un créateur, il est censé être un puits d’idée.

Concentrez-vous sur comment transformer votre idée en une œuvre précieuse, et ne perdez pas votre temps à garder votre idée enfermée dans votre tête.

Keep creating!

Tu Ha An

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