Tu Ha An - Illustration Onirique & Multiculturelle

Violette Imagine : « C’est ça que je veux faire, c’est ça que je montre »

Edité par Jo, ma complice & la marraine de mon chat terreur

Cet article fait partie de la série spéciale « Illustrateur.trice : le métier », où vous trouverez la réponse aux questions que vous m’avez posées le plus souvent sur ma profession.

Pour cette occasion exceptionnelle, j’ai invité les consœurs et confrères talentueux.ses pour nous apporter les points de vue réalistes, détaillés et sincères sur le métier d’illustrateur.trice.

Violette Grabski : illustratrice onirique jeunesse

Violette Imagine est le nom d’artiste de Violette Grabski, une illustratrice belge.

Pour finir cette série spéciale Illustrateur.trice : le métier en beauté, découvrons l’univers de Violette, rempli de magie, de douceur et d’espoir. C’est le choix idéal pour un article publié le jour de Noël, n’est-ce pas ?

Source : violetteimagine.com

L’interview de Violette n’était initialement pas la dernière de cette série, mais j’ai choisi de la réserver pour Noël car l’esprit de cette discussion est juste… magique.

Dans la plupart des autobiographies, ou dans des interviews de créatif.ve.s, on apprend que l’artiste a toujours su au fond de lui ou d’elle ce qu’est son rêve, son destin, son métier. Et… ce n’est pas le cas de Violette. Son parcours atypique rempli de virages et d’embûches parlera à beaucoup d’entre nous.

Au cours de cet interview, vous découvrirez une personne talentueuse, déterminée et humble. Mais surtout, vous vous sentirez détendu.e.s, rassuré.e.s, et encouragé.e.s.

Le message de Violette est un cadeau pour conclure cette année avec douceur. Et j’espère que son histoire et ses mots encourageants vous donneront de la motivation pour la nouvelle année, qui arrive à grands pas. New year, new you, n’est-ce pas ?

Meet the artist

Table de matières

Étant donné que la conversation est longue, voici la table des matières, pour faciliter votre lecture, votre relecture, et vos futures recherches :

À bon vin point d’enseigne

Dessiner & partager

Tu Ha An (An): Comment décris-tu tes journées de travail en tant qu’illustratrice ?

Violette Grabski (Violette): Je suis en train de travailler avec une scénariste sur une bande-dessinée. C’est principalement ça, mon activité du moment.

Mais je travaille toujours sur des projets différents en même temps, car j’aime bien diversifier. Là, à côté de la bande-dessinée, je travaille aussi sur des livres jeunesse et un tarot.

Je trouve qu’être illustratrice touche plusieurs domaines. Il y a beaucoup de dessin, mais il y a aussi une part conséquente de partage sur les réseaux sociaux, que ce soit partager en story ou créer des publications. Il est important de faire connaître son travail, et de le mettre en avant.

D’ailleurs, c’est comme ça que j’ai trouvé la plupart de mes projets. Mon compte Instagram a grandi et m’a permis d’approcher des maisons d’édition que je n’aurais peut-être pas su approcher sans ça.

An : Combien de temps passes-tu sur le dessin, sur les tâches administratives, et sur les réseaux sociaux, environ, chaque semaine ?

Violette : Pour l’instant, vu que je travaille surtout sur la bande-dessinée, je dirais que je dessine 80 % de mon temps. Je dois passer 10 % de mon temps sur les réseaux sociaux et 10 % de mon temps sur les mails, au téléphone et autres.

Une planche de la BD « Le livre d’Ayla » dont Violette est illustratrice. Source : Instagram violette.imagine

Mais il y a eu des périodes où c’était plutôt 60 % dessin et 30 % réseaux sociaux.

Je suis souvent plus active les jours où je publie sur Instagram, c’est à ce moment là où je reçois le plus d’interactions avec les commentaires mais aussi les messages privés.

Du travail durable grâce à Instagram

An : Est-ce qu’Instagram est ton canal principal pour toucher tes clients potentiels ?

Violette : Je dirais que c’est vraiment la vitrine de mon travail.

J’ai un site web, que je dois mettre à jour pour le dynamiser. Mais c’est vraiment Instagram qui m’a permis de gagner en visibilité.

Souvent, les maisons d’édition ne me donnaient pas de réponse, ou me donnaient des réponses négatives quand je les contactais par la méthode classique. Alors qu’avec mon Instagram, j’ai des maisons d’éditions qui me proposent des projets.

Pour l’instant, je n’ai pas à chercher du travail, parce qu’on m’en propose sans arrêt. Et je dois même en refuser. J’ai du travail jusqu’en 2028 !

Moi qui n’étais pas réseaux sociaux et qui me suis forcée à alimenter Instagram au départ, j’ai vraiment du travail sur le long terme grâce à ça, c’est assez fou !

Le côté positif d’Instagram

Envahir Instagram par la douceur

An : J’ai l’impression qu’en ce moment on parle d’Instagram avec beaucoup de connotations négatives.

Mais je pense que ce réseau social peut être positif. Les derniers évènements d’actualités procurent de l’instabilité et de l’angoisse chez beaucoup de personnes. Le fait de voir, sur Instagram, quelque chose d’aussi poétique et d’aussi doux que tes dessins peut apporter aux gens plus d’espoir et de douceur dans leur vie.

Violette : J’espère que ça fait du bien aux gens, parce que ça me fait du bien de dessiner des scènes douces et féeriques. C’est une thérapie pour moi. Je suis quelqu’un qui angoisse assez vite, et dessiner quelque chose d’opposé à mon ressenti me fait du bien. Peut-être que les gens le ressentent aussi de leur côté …

Par rapport à Instagram, c’est vrai que, dernièrement, il y a beaucoup de choses négatives qui se sont dites à ce sujet. Je vois que ma visibilité a beaucoup baissé. Mais je sais que c’est parce que je suis moins active. Donc je ne m’inquiète pas plus que ça, surtout que les personnes qui ont l’habitude de me suivre continuent à interagir avec moi.

Source : Instagram violette.imagine

Recevoir de la douceur avec Instagram

An : Quel est le meilleur feedback que tu as reçu de la part de ta communauté ou de tes clients ?

Violette : J’en ai eu beaucoup ! Des personnes qui me disaient que mes dessins leur faisaient du bien, des éditeurs et éditrices qui disent beaucoup de bien de mon travail quand on commence à travailler ensemble…

Mais ce sont surtout les messages de mes abonnés qui sont le meilleur feedback.

Comme la fois où j’ai reçu un message dans lequel une personne m’expliquait que l’une de mes illustrations lui rappelait un parent décédé et que ça lui avait fait comme du baume au cœur. Ça m’avait beaucoup touché. J’étais contente de pouvoir aider cette personne à faire son deuil, d’une certaine façon.

J’adore aussi quand les enfants aiment bien mon univers, parce qu’ils le disent sans filtre, et les parents qui m’envoient le message le retranscrivent aussi. Je trouve ça assez émouvant.

En tant qu’illustrateur.trice, on travaille souvent seul.e de chez soi. On n’a pas forcément de retour direct en-dehors des réseaux sociaux. Les retours sur Instagram m’ont donc beaucoup motivée. J’en suis très reconnaissante.

Quand la communauté est une source de confiance

An : Tu as eu un pied dans l’illustration pendant longtemps sans y être véritablement. Est-ce que tu penses que le fait de ne pas faire d’études dans l’illustration a un impact sur la confiance de tes clients ou des maisons d’édition ?

Violette : Je pense que mes clients cherchaient quelque chose de différent, peut-être parce que, justement, je n’ai pas la même approche que des personnes qui ont fait des études en illustration.

C’est peut-être moi-même qui n’avais pas assez confiance au départ. Je me disais que je ne connaissais pas tous les codes de l’illustration. Parfois, je me suis sentie inférieure par rapport à des personnes qui ont fait des études pour, et j’avais peur de montrer mon travail.

Finalement, c’est le fait d’être sur les réseaux sociaux et d’avoir eu autant d’échanges avec les gens qui m’ont aidé. Leur gentillesse et leurs commentaires positifs m’encouragent à produire plus et à vouloir partager mon travail. Mes dessins ne sont pas parfaits, ils continuent à évoluer et je continue à m’améliorer.

Source : Instagram violette.imagine

Trouver son rêve : le chemin à multiple virages

Un parcours atypique

An : Pourquoi as-tu décidé de faire le métier d’illustratrice ? Est-ce que ça a toujours été une envie constante, ou est-ce qu’il y avait des moments de doute ?

Violette : J’ai été un peu dans tous les sens.

J’ai toujours dessiné, j’ai toujours été dans un milieu créatif depuis mon enfance. L’art m’a toujours intéressé, sous toutes ses formes, que ce soit le dessin, la musique, le théâtre… Et j’ai eu des parents qui m’ont encouragée, chose qui n’est pas évidente pour tout le monde.

J’ai fait des études de scénographie, pour des pièces de théâtre principalement. On touchait à plein de choses : du dessin, des maquettes, des décors… Ce sont des études que j’ai adoré faire, mais j’ai réalisé que ce n’était pas le métier que je me voyais faire.

Pendant ces études-là le dessin est revenu dans mes passions, mais aussi mon amour pour le cinéma d’animation. Je n’ai pas choisi le dessin à ce moment-là, car j’avais peur de ne pas réussir à trouver un travail. Alors, je me suis dirigée vers le cinéma d’animation. J’ai été vers le digital, donc l’apprentissage de la conception 3D, de la modélisation et de l’animation.

J’ai continué à me former au cinéma d’animation jusqu’à mes 28 ans. Je dessinais à côté, sans prétendre vouloir dessiner non plus. J’ai eu quelques expériences dans le dessin, dont quelques mauvaises expériences, avant 2018. Mais quand j’ai créé Violette Imagine en 2018, j’ai vu que ça me passionnait. C’est ce que je me vois faire tous les jours.

Source : violetteimagine.com

J’ai vraiment mis tout en place pour y arriver. J’ai pas mal galéré à trouver du travail et des projets rentables. Mais j’ai continué, parce que je suis extrêmement têtue, et que je ne me voyais pas faire autre chose.

Il y a eu des moments où je doutais de moi, mais la motivation revenait toujours.

C’est vraiment à partir de 2020 que j’ai commencé à avoir des projets intéressants, de plus en plus réguliers. Mon compte Instagram a beaucoup évolué à cette période-là. Je pense que le confinement a aidé.

Ça s’est enchaîné à partir de là, et ça ne s’arrête pas. Et je touche du bois pour que ça ne s’arrête pas ! Voilà, c’est comme ça que je suis arrivée à l’illustration.

Source : Instagram violette.imagine

La relation humaine avant tout

An : Est-ce que tu as envie d’avoir une agence dans le futur ?

Violette : J’y ai pensé au début de mon activité. J’avais contacté des agences mais personne ne m’a répondu.

Mais je pense que je préfère être toute seule. Ça me plaît d’être mon propre patron et d’être directement en échange avec le client. Je n’aime pas trop l’idée d’avoir un intermédiaire. Je pense que la relation aux gens est importante, même en virtuel.

J’aurais trop peur qu’avec un.e agent.e, je sois trop dans ma bulle, et que je ne réalise pas tout le potentiel qu’il y a autour, parce que je me reposerais trop sur cette personne.

Un parcours atypique demande un courage hors du commun

Accomplir l’impossible

An : Quelle est ta plus grande fierté, en lien avec ton métier ?

Violette : Ma plus grande fierté serait le fait que je travaille sur des projets qui me plaisent énormément et qui vont être édités.

Je me disais que je ne serai jamais éditée et que je n’aurais jamais de projets avec des maisons d’édition. Je ressens beaucoup de fierté, aujourd’hui, du fait qu’on vienne voir mon travail pour ce qu’il est, et pour ma personnalité. Ça a été très compliqué pour moi de me mettre en avant car je suis introvertie et extrêmement timide.

Je suis fière d’avoir réussi à passer cette étape. Beaucoup de personnes m’ont dit que je n’y arriverai pas. Et je suis si fière de pouvoir leur dire que je l’ai fait !

En 2021, Violette a animé le cours en ligne « Introduction à l’illustration jeunesse à l’aquarelle » chez Artesane. Souce : www.artesane.com

Ceux qui sont contre notre choix de vie ont, parfois, des rêves enterrés

An : Penses-tu que tu étais courageuse de suivre ce chemin de freelance ?

Violette : Il faut être courageux.se ET persévérant.e car ça ne tombe pas comme par magie.

Il faut beaucoup s’impliquer, parfois au détriment du reste. Je suis quelqu’un qui travaille beaucoup et je ne prends pas de temps pour moi, ou pour les gens que j’aime, alors que je le devrais…

Mais ce métier demande beaucoup de courage parce que les gens autour de nous ne comprennent pas forcément pourquoi on veut faire un métier de passion.

J’essaie de prendre du recul par rapport à ces personnes-là, parce que je me rends compte que certains d’entre eux auraient voulu faire leur vie différemment. Pourtant ils se sont enfermés dans des emplois qu’ils n’aimaient pas, par obligation.

Quand ils voient des personnes qui, comme nous, essaient de faire le métier de leur rêve, ça les rend aigris.

C’est triste pour eux, mais j’ai envie de leur dire que c’est possible, et qu’il n’y a pas d’âge pour faire le métier de ses rêves. Il y a beaucoup d’exemples de personnes qui ont eu une première vie avant d’en changer. Il faut travailler dur mais c’est accessible à tous.

« Ça a marché à partir du moment où j’ai décidé de faire ce que je voulais. »

An : Combien de temps s’est écoulé entre le moment où tu t’es lancée et le moment où tu considères que tu arrives à vivre de ton métier ?

Violette : Ça va faire peur aux gens, mais j’ai réellement commencé à gagner ma vie à 30 ans. J’ai rencontré beaucoup d’échecs avant, ça n’a pas été évident.

J’ai l’impression d’avoir eu plusieurs vies, entre la scénographie, l’animation 3D, le jeu vidéo… Je cherchais des métiers dans les filières où j’étais formée.

C’est comme si j’avais coupé cette partie de ma vie en 2018, quand j’ai créé Violette Imagine. C’était vraiment le moment où je considère que j’ai pris la décision d’être illustratrice et de ne faire que ça, sans métier alimentaire à côté.

Je dirais qu’il m’a fallu un an et demi, entre automne 2018 et fin 2020, pour me construire en tant qu’illustratrice et pour savoir ce que je voulais proposer.

J’ai testé beaucoup de choses ! J’ai testé les boutiques en ligne, j’ai proposé des portraits, des choses que je voyais chez d’autres artistes, en me disant que c’était ça qui pouvait marcher. Et en fait, pas du tout.

Ça a marché à partir du moment où j’ai décidé de faire ce que je voulais, sans regarder ce que faisaient les autres.

Je me suis nourrie de tout ce qu’il y avait autour et j’ai tout épluché. Un peu comme les oignons, j’enlève les peaux et j’arrive à l’essentiel, à ce que j’ai envie de montrer, de proposer et de ce que je pense être pertinent.

Un autoportrait de Violette. Source : violetteimagine.com

Et j’ai l’impression qu’à partir du moment où j’ai vraiment mis en avant mon univers et mes idées, ça a commencé à accrocher. Ce qui était le plus proche de ma personne a amené plus de personnes à se reconnaître dans mon travail, à ressentir des émotions…

Être soi-même est le plus important, mais ça peut faire peur. Souvent, on se cache. Mais à partir du moment où on se révèle, on se rend compte que les gens apprécient ce qu’on fait et qu’ils nous apprécient pour qui on est.

J’ai un parcours assez atypique. Mais malgré mon chemin éparpillé, il y a moyen, à un moment donné, de se poser et de se dire : « Voilà, c’est ça que je veux faire, c’est ça que je montre. », et en avant !

La santé mentale et l’équilibre des créatif.ive.s

An : Parmi tes activités, quelle est ta source principale de revenus, et quelle est ta source principale de bonheur ?

Violette : En ce moment, mon revenu principal se fait via les projets d’édition. Quand on travaille en bande-dessinée, on a un à-valoir (note : un avancement sur droits d’auteur) qui nous permet de vivre sur le temps où le projet est en conception.

Une bande-dessinée nécessite un an à un an et demi de travail. J’ai fait le choix de travailler sur d’autres projets en même temps pour avoir une rémunération suffisante au cours de l’année.

Je voulais reprendre ma boutique cette année mais je n’ai pas su la remettre en ligne, ni retravailler dessus. C’est mon échec 2022. Mais je pense que c’était une bonne décision, pour ma santé mentale et physique.

J’ai tenu ma boutique sur Etsy en 2020 et un peu en 2021. Ça me plaisait beaucoup, car c’est un moment où je partageais énormément mon travail. C’était aussi une période où j’avais réouvert ma chaîne YouTube, qui est aussi en pause pour l’instant.

Source : Instagram violette.imagine

Pour revenir sur la diversification de mes revenus, je n’ai pas su le faire cette année par manque de temps. Cela signifie que mon travail principal est suffisant, et c’est une chance.

Mais j’aimerais bien avoir plus de temps pour moi, donc avoir des revenus passifs qui me permettent de travailler sur quelques projets, sans avoir tout le temps la tête dans le travail, y compris les week-ends ou en soirée …

Justement, je constate qu’il y a beaucoup de collègues artistes qui sont à la limite du burn-out. C’est beaucoup plus courant que ce qu’on peut imaginer. Et ce n’est pas normal.

Cette année a été difficile pour moi à cause de ça. J’ai été malade pendant mes vacances. Comme si mon corps avait lâché et m’avait dit : « Ah, tu es en pause ? Attends, tu vas voir, tout ce que tu as emmagasiné va se sentir maintenant. ».

On dit aux jeunes qu’il faut savoir travailler dur et être productif. Mais il faut aussi prendre le temps de se ressourcer ! On est complètement vide, autrement.

J’aimerais pouvoir me prendre un mois de vacances l’année prochaine, pour me reposer, mais aussi pour enrichir mon imaginaire, pour pouvoir continuer à créer. Ça fait partie de mes résolutions 2023 !

La place des autrices et de la littérature jeunesse

An : Est-ce que tu penses qu’être une femme dans ce milieu te donne un avantage, ou un inconvénient, dans le métier ? Est-ce que tu sens qu’il y a un déséquilibre dans le milieu de l’illustration ?

Violette : Dans mon cas, en tant qu’illustratrice, je n’ai pas subi de sexisme.

Mon travail est principalement suivi par des femmes. En tout cas c’est ce que les statistiques Instagram me font comprendre. Et par rapport aux échanges que j’ai, ce sont principalement des mamans qui, à mon avis, cherchent des illustrateurs qui leur plaisent pour des commandes.

Donc je pense que ça touche ce type de personnes en particulier. Et c’est aussi ce type de personnes que je vise dans mon travail. L’univers de l’enfance me touche particulièrement. J’aime beaucoup faire rêver, et donner ce côté nostalgique dans mes illustrations.

Je n’ai pas eu le sentiment d’être exclue parce que j’étais une femme. Mais je sais que le milieu de l’édition de la bande-dessinée est encore bien masculin.

En discutant avec d’autres femmes qui font de la BD jeunesse, j’ai pu constater qu’on est moins bien vues parce que c’est de la BD faite par des femmes, pour des enfants.

C’est aberrant, encore aujourd’hui, de penser que les enfants ne sont pas importants dans la littérature. Et ça m’énerve que des personnes proclament que leur travail est plus important parce qu’il est destiné aux adultes.

Je trouve que c’est le moment où l’éducation est la plus importante, et elle peut se faire à travers les livres. C’est tout ce qu’on amène aux enfants, maintenant, qui peut leur servir plus tard et qui leur amène une certaine sensibilité.

Tout le monde a été un enfant. Tout le monde a eu besoin de se construire avant. Et les livres jeunesse font partie de cette construction.

Source : Instagram violette.imagine

La culture : le terrain épineux

La déconstruction en permanence

An : La diversité ethnique et la variété des représentations des corps et des genres sont des éléments que tu souhaites intégrer dans ton travail ?

Violette : Oui j’essaye de proposer une diversité dans mes personnages. Quand j’avais des commandes, pour des manuels scolaires par exemple, les consignes disaient explicitement qu’il fallait que les illustrations soient variées au niveau culturel.

Je ne m’en rendais pas forcément compte, mais j’avais tendance à dessiner des personnages qui me ressemblaient, par habitude, sans me poser de questions. Quelques personnes me l’ont fait remarquer et aujourd’hui je fais beaucoup plus attention.

Source : Facebook Violette Imagine

J’ai dû apprendre à me déconstruire, sur plusieurs années, pour pouvoir mieux voir à travers les yeux des autres. J’ai grandi dans une campagne où on n’était que des blancs, et c’est vraiment à travers mes études et mon parcours que j’ai appris à mieux voir toute la diversité de personnes qu’il pouvait y avoir. Que ce soit au niveau culturel mais aussi au niveau des genres.

Même encore aujourd’hui, j’essaie d’apprendre, d’écouter aussi, car c’est important de se rendre compte qu’il y a des personnes qui ne se sentent pas assez représentées. J’ai envie d’englober tout le monde et que tout le monde puisse se reconnaître.

An : Déconstruire les images que l’on voie partout dans les livres, dans les publicités, dans notre éducation, dans la vie… est un travail en permanence. Et en étant illustrateur.trice, on a le super pouvoir de représenter ce changement dans nos dessins.

Violette : Oui, et il le faut.

En revanche, j’ai toujours eu peur de faire de l’appropriation culturelle. Quand je travaille pour moi, je dessine généralement plus dans le folklore européen, ou celui de ma région, les Ardennes belges.

Mais parfois, je n’ose pas intégrer les contes et légendes de différentes cultures dans mes dessins parce que j’ai peur de tomber dans de l’appropriation culturelle. Je pense que c’est à des personnes concernées de montrer ce super bagage.

C’est plutôt ambivalent. J’ai toujours peur de mal faire.

L’échange culturel

An : Je comprends parfaitement, parce que c’était également mon ressenti. Quand je me suis lancée, je me suis demandé si j’étais assez légitime de m’identifier comme illustratrice multiculturelle.

J’ai peur de ne pas suffisamment connaître le sujet avant de dessiner un élément qui vient d’une autre culture. Et même, je ne connais pas tant que ça ma culture d’origine, ni la culture française, même si ça fait 10 ans que je vis en France.

Puis, je me suis souvenu d’un détail, qui, je l’espère, pourra aussi t’aider.

J’ai grandi au Vietnam. Lorsqu’une personne extérieure à notre culture sortait un film ou publiait un livre sur le Vietnam ou sur une ethnie du pays, on était reconnaissants qu’il s’intéresse à notre culture. Ces œuvres étaient même mises en avant, parfois, dans le Journal de 19h (note : l’équivalent du Journal de 20h en France).

C’est gratifiant quand on sent qu’il y a de la recherche et une attitude sérieuse derrière ces œuvres. Il y a souvent des choses dans notre culture qu’on ne remarque plus parce qu’elles font parties de nos habitudes et nos routines. Quand quelqu’un d’extérieur y prête attention et en parle, on se rend compte à quel point notre culture est riche, et à quel point ça peut être fascinant dans les yeux de l’autre, alors que pour nous c’est banal !

S’il n’y a que des vietnamiens qui ont le droit de parler du Vietnam, que les belges qui ont le droit de parler de la Belgique, on va tous rester chacun dans notre coin, et il n’y aura plus d’échange culturel.

Violette : C’est une bonne réflexion que tu m’amènes là. C’est quelque chose qui m’a un peu freiné, toujours par peur de blesser les gens, alors que je m’intéresse à tellement de cultures différentes !

Trois couches de m*rde sur la tartine « illustrateur.trice »

An : L’autrice Elizabeth Gilbert a parlé d’un concept qui s’appelle tartine de m*rde : Quand on regarde ce métier d’un point de vue extérieur, on a tendance à ne voir que les bons côtés, alors que, dans chaque métier se trouve une tartine m*rde que seuls les gens qui font ce métier peuvent voir, que ce soit des risques, des contraintes, des malheurs.

Quels sont les aspects les plus désagréables de ton métier, que tu considères comme des tartines de m*rde ?

Violette : L’aspect financier est souvent la première bonne couche de m*rde dans ce métier, parce qu’il faut beaucoup de travail et de temps pour réussir à se dégager un salaire régulier et vivable.

Au départ, je me disais que je ne gagnerais pas ma vie. Pour l’instant, je trouve que ce que je gagne est correct. J’aimerais bien gagner plus dans le futur, parce que le coût de la vie augmente et qu’on n’y échappe pas.

La deuxième couche de m*rde, c’est qu’il faut tout gérer quand on est à son compte. Il faut être prêt.e à être polyvalent.e, et ne pas s’arrêter uniquement au dessin : il faut gérer la comptabilité, la communication, les clients, les retours…

Troisièmement, la prospection et le fait de mettre en avant mon travail sont compliqués. En tant qu’introvertie, pour moi, ça l’est encore aujourd’hui. Il faut se détacher de l’image qu’on a de soi, car on a souvent tendance à se sous-évaluer. C’est un défi régulier malgré l’habitude.

Mais le négatif est tellement moindre que le positif. Ça en vaut la peine.

Source : violetteimagine.com

Avant de se lancer

Les essentiels à définir

An : Quelle est la chose que tu considères comme étant la plus importante pour débuter en tant qu’illustrateur.trice ?

Violette : Dans mon cas, j’ai fait la formation « Illustration, l’Atelier » de l’illustratrice Ëlodie, qui m’a beaucoup aidé avant de me lancer.

Il faut étudier le marché, savoir ce que tu veux faire comme activité, et ne pas te limiter à une seule. Plusieurs illustrateur.trice.s ont des projets clients, mais aussi une chaîne YouTube, un Patreon ou une boutique.

Il faut étudier le type de projets qui t’intéresse, le type de clients que tu vises et savoir comment tu vas communiquer ton travail.

Ce n’est pas aussi simple que faire des dessins et les poster sur les réseaux sociaux. Il faut qu’il y ait toute une communication autour de son travail. Certain.e.s tiennent un site web comme vitrine ; d’autres font des newsletters… C’est mieux que d’avoir un seul réseau.

Les ressources pour la tarification

An : As-tu des ressources que tu souhaites conseiller à celles et ceux qui se lancent, ou qui souhaitent devenir illustrateur.trice.s ?

Violette : J’avais consulté graphistefreelance.be, pour connaître plus ou moins la base sur la tarification (note : les tarifs précisés sur ce site sont ceux de la Belgique). 

Sinon, il y a le groupe sur Facebook Au secours, j’ai un devis à faire que je trouve assez pertinent. Il peut t’être utile si tu souhaites demander conseil. Tu peux aussi regarder ce que les autres ont demandé et les conseils qui leur ont été attribués. Ça donne de bonnes bases.

Je me souviens aussi d’une vidéo F.A.Q. que Marie Boiseau a publié récemment, et dans laquelle elle avait donné des ressources intéressantes, peut-être plus pour les français, comme La Facturation pour les pros et le Kit de survie du créatif.

Je pense que ce sont des ressources qui peuvent aider au début. Après, nos prix vont évoluer selon notre expérience et le niveau qu’on va avoir, mais aussi parce que tu peux estimer de mieux en mieux le temps que prend chaque projet. Ce point est très important ! Je me dis souvent que j’aurais dû proposer un autre prix, surtout parce que le traditionnel prend du temps.

N’oubliez pas, la créativité fait partie de la vie quotidienne

An : Si tu as un dernier conseil pour celles et ceux qui rêvent de devenir illustrateurs, lequel est-ce ? Et as-tu un mot pour leurs proches, au cas où les proches sont contre leur choix de vie ?

Violette : Si c’est vraiment ce que la personne a envie de faire, que c’est quelque chose de vital pour lui, je lui dirais de ne pas avoir peur et de persévérer, de sortir ce feu en lui, de le cracher haut et fort sans craindre le jugement des autres.

L’aspect financier peut évidemment freiner. Je viens d’une famille ouvrière, j’ai eu l’habitude d’être complètement fauchée. Mais on ne vit qu’un laps de temps sur Terre et j’ai envie de le passer à faire quelque chose que j’aime vraiment. Si quelqu’un a ce ressenti-là, il devrait foncer et dire adieu aux préjugés.

Personnellement, je n’ai pas envie de me plier aux exigences des autres pour leur faire plaisir. J’ai vu beaucoup de personnes dans mon entourage qui n’osaient pas vivre la vie qu’ils avaient envie, parce qu’ils avaient peur.

Ma mère voulait que je continue des études classiques au départ parce qu’elle s’inquiétait pour mon avenir. Puis elle a vu à quel point je pouvais être malheureuse dans quelque chose qui ne me convenait pas. Je pense que ça lui a parlé.

Et pour les autres qui ne sont pas suffisamment proches pour voir à quel point on s’épanouit dans notre travail, il faut leur montrer que c’est un projet concret, qu’on s’intéresse à ce milieu, qu’on a analysé le marché et qu’on a pesé les avantages et les inconvénients du métier. En clair, que ce n’est pas juste un rêve d’enfant et que c’est sérieusement préparé.

Source : Instagram violette.imagine

C’est un métier qui existe depuis longtemps, en plus, mais la plupart des métiers artistiques sont tellement intégrés dans notre société que les gens ne voient pas qu’il y a ce côté artistique.

Comme dans la publicité, par exemple. Les gens ne se doutent pas que les vêtements et les coiffures ont été dessinés, ou que les couleurs ont été réfléchies. Ce sont des artistes qui ont fait ça. Même la vaisselle qu’ils utilisent pour manger a été faite par des artistes ! La créativité fait partie des choses du quotidien, c’est juste que les gens l’oublient.

Un rêve holistique 100% Violette

An : As-tu des projets à venir, ou as-tu un rêve pour le futur ?

Violette : Je vais finir ma bande-dessinée qui sortira normalement en 2023. D’autres projets concrets arrivent également, dont deux livres jeunesse, et le tarot.

Même si j’adore travailler avec des auteur.trice.s, car je trouve cela très enrichissant et j’aime bien retranscrire leurs idées, j’aimerais quand même faire quelque chose 100 % Violette. J’aimerais créer un livre jeunesse, ou une bande-dessinée que j’aurais écrite. J’ai des carnets remplis d’idées pour des projets futurs.

Mon rêve absolu serait de réaliser un film en stop-motion de mon univers ! Je ne sais pas si j’aurais l’occasion un jour, mais c’est quelque chose qui me plairait vraiment.

Sinon, plus personnel encore, j’aimerais faire de la pratique artistique en plus de mon travail. Et j’aimerais bien avoir du temps libre pour voir ma famille, mes amis… C’est dans mes résolutions : trouver un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle.

Source : violetteimagine.com

Vous pouvez retrouver Violette sur Instagram violette.imagine ou sur son site internet violetteimagine.com

Giveaway

Pour cette première série spéciale sur le blog, je voudrais offrir un colis avec 5 œuvres, venant de chaque invité.e de cette série spéciale, à une chanceuse ou un chanceux parmi vous.

Si vous voulez participer au giveaway, voici le lien : https ://forms.gle/Zr1zUMSQZsxfgPKk7

Je prévois aussi 1 cadeau surprise pour chaque participant au giveaway !

Il y a de la place pour tout le monde & Keep creating!

Tu Ha An

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