Tu Ha An - Illustration Onirique & Multiculturelle

Lucile Escallier : la créatrice & son métier sur-mesure, sa démarche de prospection sur-mesure et son environnement sur-mesure

Edité par Jo, ma complice & la marraine de mon chat terreur

Cet article fait partie de la série spéciale « Illustrateur.trice : le métier », où vous trouverez la réponse aux questions que vous m’avez posées le plus souvent sur ma profession.

Pour cette occasion exceptionnelle, j’ai invité les consœurs et confrères talentueux.ses pour nous apporter les points de vue réalistes, détaillés et sincères sur le métier d’illustrateur.trice.

Lucile Escallier : designer graphique, illustratrice, créatrice de contenus

Etant donné que je voulais absolument interviewer un.e illustrateur.trice qui est également graphiste (designer graphique) pour cette série spéciale, Lucile était l’invitée idéale. Non seulement parce que j’adore son univers soigné, féminin et onirique, mais aussi parce que Lucile a un sens de communauté et de partage très remarquable. 

Source : www.lucile-escallier.com

Lucile Escallier est la fondatrice du Studio Notagraphe depuis 2020. Elle est une designer graphique et illustratrice française. J’ai découvert l’univers de Lucile grâce à un partage sur Instagram il y a 2 ans. Et vous allez voir, durant notre échange, qu’Instagram joue un rôle important dans son métier.  

Chaque partage de Lucile sur Instagram, que ce soit des dessins, des photos, ou des stories, reflète son sens du détail et la cohérence dans son univers.

Ce qui me fascine chez Lucile, c’est sa capacité à imaginer, à moduler, à mettre de l’effort dans un travail qu’elle créée sur mesure ; un moyen de prospection adapté à sa personnalité ainsi qu’un environnement professionnel qui lui convient.

L’entrevue avec Lucile s’est vite tournée en échange entre deux collègues sur des sujets qui nous intéressent toutes les deux. 

Les partages d’expériences de Lucile forment un guide précieux pour celles et ceux qui souhaites construire une carrière créative épanouissante en se basant sur l’authenticité.

Meet the artist

Table de matières

Pour faciliter votre lecture, votre relecture, et vos futures recherches, voici la table des matières :

L’illustratrice + la graphiste + … ?

Tu Ha An (An) : Comment décris-tu ton activité ?

Lucile Escallier (Lucile) : Je suis à la fois graphiste et illustratrice.

Une grande partie de mon métier est liée à la création. Mais c’est très différent de l’artiste qui crée des œuvres d’art juste pour extérioriser son imagination.

Je vois mon métier comme un apport de compétences au service des autres. Il y a une partie qui va autour de la gestion de projet, une autre pour la méthode, ou une autre encore pour la technique.

Et à côté, je fais ma propre comptabilité, ma prospection, ma communication… Je me sens à la fois graphiste, illustratrice, comptable, communicante, marketeuse…

Je définirais mon activité comme plus entrepreneuriale qu’artistique.

An : Tu as aussi la casquette de créatrice de contenu, n’est-ce pas ? Tu es très active sur Instagram, tu as une chaîne YouTube et également une newsletter. Comment tu t’organises pour jongler entre tous ces rôles ?

Lucile : C’est compliqué en ce moment parce qu’on est dans une période charnière.

La seule constante que j’ai, c’est le lundi qui est dédié aux contenus Instagram. Ça fait du bien de commencer la semaine sans avoir un gros projet client, ou tous les mails à traiter !

Et ensuite je garde quatre jours dans la semaine pour travailler sur les projets clients. J’en profite pour tourner des vlogs.

Je consacre environ deux jours par mois à la gestion administrative, à observer ce qui se passe dans ma propre entreprise et à déterminer dans quelle direction je veux aller, quel client je veux avoir…

An : J’ai l’impression que tu es très bien organisée.

Lucile : J’essaie ! En fait, je m’associe juste des jours à des tâches ou aux personnes à qui j’offre mon temps. Après, le planning peut être ajusté au besoin.

Se créer un travail sur-mesure

Le déclic

An : Qu’est-ce qui t’a poussé à choisir ce métier créatif, et à cumuler l’illustration et le graphisme ?

Lucile : J’ai toujours dessiné, j’ai toujours été plutôt créative.

J’ai su que je voulais travailler dans l’image à partir de mes 15 ou 16 ans. A cette époque, j’avais vu un reportage sur le chanteur Mika qui montrait comment il travaillait les couvertures de ses pochettes d’album, avec sa sœur, qui était sa graphiste.

Tout le monde était installé autour d’une table. Il y avait des papiers partout. Ils choisissaient des personnages, des éléments à mettre par-ci, par-là, ils se demandaient comment agencer tout ça. Je m’étais dit : « Franchement, ça a l’air cool d’être payé pour faire cela toute la journée ! ».

Un projet branding de Lucile, pour Sterenn Editions. Source : www.lucile-escallier.com

J’ai fait un BTS en communication visuelle, spécialisation graphisme, édition et publicité. Ensuite, j’ai fait des études de direction artistique, puis des études de numérique.

J’ai travaillé dans différentes entreprises, en stage ou en tant que salariée. Et je ne sais pas pourquoi, ou comment, je savais que je finirais par devenir indépendante.

Le dénouement entre le graphisme et l’illustration

An : Et l’illustration dans tout ça ?

Lucile : En réalité, à la base, je voulais être illustratrice. Mais à l’époque, les écoles en illustration demandaient 5 ans d’études pour peu de places et peu de débouchés après ça.

L’illustration est revenue toute seule dans ma vie ; pendant longtemps, elle était souvent au second plan.

J’ai eu la chance d’avoir des cours d’illustration en licence de direction artistique. La licence nous enseignait comment faire de l’illustration, comment répondre à des commandes par rapport à différents sujets …

Quand j’étais au customer care (note : service client) d’une start-up, je travaillais sur des supports de cours et d’apprentissage pour la solution qu’on vendait. On faisait beaucoup d’illustrations pour expliquer les concepts, pour passer de l’abstrait à quelque chose de très concret. Ça m’a permis de refaire le lien avec l’illustration.

Depuis, j’ai toujours lié l’illustration à ma pratique du graphisme. Je fais beaucoup de logos illustrés, j’inclus l’illustration dans mes offres…

Illustration de Lucile pour un kit de broderie pour débutants, assemblé par Elodie Blueberry. Source : www.lucile-escallier.com

Là, j’ai autant de projet d’illustration que de projet branding (note : identité de marque). Je trouve que c’est un bon équilibre.

An : Parmi tes activités, laquelle t’apporte le plus de revenus, et laquelle apporte le plus de bonheur ? Est-ce que c’est la même activité qui remplit les deux rôles ?

Lucile : En ce moment, ma principale source de revenu vient des projets branding.

J’adore accompagner et construire un univers visuel mémorable pour les créateurs de marques. Souvent, j’intègre des illustrations et des techniques d’illustration dans mes propositions et dans le processus.

Je dirais que les projets branding forment aussi ma principale source de bonheur.

Les avantages des études en graphisme

An : Penses-tu que le fait d’avoir fait des études dans le graphisme, et d’avoir eu des cours dans l’illustration, te donne un avantage dans le métier ?

Lucile : D’expérience, par rapport à des personnes que j’ai rencontrées dans le domaine de l’illustration, et aussi lié à la formation que j’ai eue, je pense que oui.

Le gros avantage d’avoir suivi des études de graphisme, de numérique et d’avoir gardé l’illustration en fond, c’est qu’on a eu des formations concrètes sur comment répondre à un client.

Nous avons appris à savoir de quoi il a besoin, pourquoi il en a besoin, quelle sera sa campagne, sur combien de temps, quelles sont les personnes qu’il veut toucher… Toutes ces compétences permettaient aux étudiant.e.s sortant du BTS d’être opérationnels rapidement.

La méthode authentique pour attirer les clients grâce aux réseaux sociaux

Quand la seule méthode qui marche est… les réseaux sociaux

An : Est-ce que tu fais de la prospection auprès de tes clients potentiels, ou est-ce que ce sont les clients qui viennent à toi ?

Lucile : J’ai essayé plusieurs techniques de prospection : en parler avec mon entourage, développer le réseau physique, envoyer des mails avec des exemples de ce qu’on pouvait faire ensemble à des marques que j’appréciais. Et… spoiler alert, personne ne m’a jamais répondu.

Ce qui fonctionne dans mon cas, ce sont les réseaux sociaux. Je sais que tout le monde ne sera pas d’accord là-dessus.

Les réseaux sociaux m’amènent tous mes clients. Puis, ces clients en parlent à d’autres personnes, donc je me retrouve avec des clients de bouche à oreilles.

Source : Instagram studio.notagraphe

3 étapes avant que le client toque à notre porte

An : Je comprends pourquoi les gens sautent au plafond quand ils entendent ça. Ils pensent que c’est la méthode « fainéante » et « élitiste ».

Souvent, le grand public ne voit pas tout le travail qu’on fait pour alimenter nos réseaux sociaux. Non seulement dans la qualité de nos photos, mais aussi dans le contenu qu’on partage, et le lien qu’on crée avec la communauté, qui s’entretient mois après mois, année après année.

Les gens ne voient qu’un joli champ. Ils ne savent pas combien de graines nous avons semé et combien d’années se sont écoulées avant que les fleurs ne poussent.

Lucile : Oui. Et je trouve qu’il y a deux types de personnes quand on parle de prospection sur les réseaux : celles qui baissent les bras peu de temps après avoir commencé, et celles qui attendent que les clients viennent.

Pour moi, il y a trois étapes : la première étape est la visibilité, la deuxième est de surgir dans l’esprit des gens, et la troisième, à force de te voir, les gens auront envie d’initier une conversation.

Si tu n’as pas le premier palier qui est la visibilité, sur les réseaux sociaux en tout cas, personne ne te remarquera. Et pour être visible, il faut jouer le jeu de l’algorithme.

Stratégie de prospection classique ou méthode « réseaux sociaux » ?

Lucile : Après, ça ne veut pas dire que faire du physique, c’est-à-dire d’aller démarcher des mairies ou l’office du tourisme, ne fonctionne pas. Ça dépend vraiment de la personnalité de chacun.

Je sais que je suis très anxieuse de parler en face à face avec d’autres personnes. Si je vais à l’office du tourisme pour présenter un projet, je n’aurais pas forcément une oreille attentive dès le départ. De plus, ils ont trois minutes pour se faire une opinion de moi. Ça va me générer trop de stress, je vais m’embrouiller dans mon discours, et je sortirais sans avoir dit tout ce que je voulais dire, sans savoir si j’ai parlé à la bonne personne.

J’ai plus de chance de prospecter les gens des environs en publiant un projet personnel sur ma ville et en taguant les bons réseaux sociaux de la ville.

Par contre, ceux qui choisissent la solution d’être sur les réseaux en pensant que ça marchera tout de suite ont tort : c’est comme le reste, ça demande du travail.

Extrait du vlog « Bonjour Octobre », de la chaîne Youtube Studio Notagraphe

La plupart des entrepreneurs ne sont pas Elon Musk, ou Jeff Bezos

An : Quelle est ta plus grande fierté en lien avec le métier ?

Lucile : Je pense que c’est d’avoir réussi par moi-même.

J’ai eu beaucoup de mal à m’extirper et à quitter un travail très stable, dont la société nous dit que c’est le Graal. Ma plus grande fierté a été de me donner cette chance, malgré ma peur.

An : Entre le moment où tu t’es lancée, en indépendante, jusqu’au moment où tu considères que tu as réussi à en vivre, combien de temps s’est écoulé ?

Lucile : Je dirais un an ? Ça s’est très bien passé les 6 premiers mois.

Ça fonctionne souvent par vague. Il y a un engouement où il se passe quelque chose, puis tu arrives dans un creux. En général, les gens abandonnent à ce moment-là. Mais tu commences à remonter au moment où tu touches le sol.

Je pense que j’ai pris une bonne année pour stabiliser, et encore, c’est une stabilité basse. Enfin, je ne suis pas Elon Musk. Et je n’aspire pas à le devenir.

An : C’est vrai que quand on parle d’entrepreneuriat, j’ai l’impression qu’Elon Musk et Jeff Bezos sont souvent les seuls noms qui reviennent. Alors que la plupart des entrepreneurs ne sont pas célèbres, ni milliardaires, ni aussi problématiques…

Lucile : Oui, il y a un monde entre être Jeff Bezos et être un petit entrepreneur qui galère, car être auto-entrepreneur ET illustrateur, c’est la galère.

Et on oublie quelque chose qui est, à mes yeux, très important : tu peux travailler et gagner des sous, pour les mettre au service de la société.

Tu peux choisir d’investir dans de beaux projets, ou choisir tes projets en fonction de tes convictions, et de ce que tu as envie d’apporter au monde.

Être libre de choisir tes combats, c’est ça aussi, la joie d’être indépendant.e.

L’inclusivité : le combat qui demande beaucoup de délicatesse

L’inclusivité n’est pas juste une mode

An : J’ai remarqué une tendance chez les marques et les médias. On met en avant la diversité de plus en plus, que ce soit au niveau culturel, au niveau physique, ou dans la représentation des personnes handicapées.

Je sais que tu es assez sensible à ces sujets. Est-ce que la diversité est un sujet que tu souhaites appliquer dans tes créations ? Est-ce que tu trouves qu’il y a trop de blackwashing, ou trop de double-standard dans la communication en général ?

Lucile : J’ai vu plein de choses différentes concernant cette question.

Une fois, lors d’un projet, on m’a spécifiquement demandé de retirer certaines ethnies d’un certain type de visuel. Alors que le projet était destiné à un lieu, dont une très grande partie de la population était d’une certaine culture et venait d’un certain pays.

C’est la première fois que je me suis rendu compte que ça craignait.

Je fais partie d’une majorité, je suis blanche, blonde aux yeux bleus, je n’ai jamais eu de mal à m’identifier à quoi que ce soit sur des campagnes publicitaires. Je n’ai pas vécu le racisme et je n’imaginais pas qu’il pouvait y en avoir dans mon travail.

J’ai été plus attentive à ce sujet après cette expérience, en me demandant jusqu’à quel point ça pouvait aller.

Je connais le handicap, et c’est un sujet sur lequel je n’ai jamais eu de mal à me positionner. J’ai toujours proposé des choses en rapport avec le handicap à mes clientes, qui n’ont pas forcément conscience des techniques d’inclusivité par la couleur, les contrastes ou la taille des typographies. Ces techniques peuvent rendre un projet accessible aux personnes en déficience visuelle.

Source : Instagram studio.notagraphe

Après, les différentes représentations physiques ne sont pas forcément demandées par mes clientes. Néanmoins, je dessine toujours des personnes avec des couleurs de peau différentes et avec des tailles différentes.

Et je suis toujours agréablement surprise avec mes clientes. Il y en a quelques-unes qui m’ont dit qu’elles n’y avaient pas pensé, et que ma proposition était une bonne idée.

Illustration réalisée par Lucile pour le magazine Our Words. Source : Instagram studio.notagraphe

La question sur la diversité s’était aussi posée dans mon ancien travail. Nos personnages ne viennent pas de différentes ethnies à la base, donc on s’est demandé comment représenter la diversité : Par les couleurs ? Par les formes ? …

C’est une question assez vaste en design, Lauren Mathews a rédigé l’article How to Create an Inclusive Retail Store Experience qui traite parfaitement ce sujet.

Le positionnement délicat

Lucile : Après, il y a des sujets sur lesquels je suis moyennement à l’aise.

Par exemple, je ne me vois pas faire une illustration quand il y a des mouvements sur le soutien des illustratrices noires, parce que j’estime que je dois laisser la parole à des personnes concernées, qui sont souvent invisibles.

Je trouve qu’il y a un peu cette ambivalence entre la volonté d’aider, et ne pas vouloir prendre la place de ceux qui ont besoin d’être entendus et écoutés. On peut être l’allié, mais on n’est pas obligé de se prononcer.

An : Ton point de vue est très complet et enrichissant. Cependant, sur le dernier point, je trouve dommage que ceux qui s’identifient comme la majorité n’osent plus parler.

Je suis d’accord avec toi sur le fait qu’il faut laisser la parole à celles et ceux qui sont vraiment concernés. Mais il n’y aura plus d’échange s’ils.elles sont les seul.e.s à s’exprimer. Les allié.e.s sont là, mais on ne les entend plus. Et côté opposé, il n’y a que les grandes gueules qui se prononcent.

Certain.e.s illustrateur.trice.s hésitent même à utiliser des éléments culturels de peur que ce soit interprété comme de l’appropriation culturelle. J’ai l’impression qu’on utilise ce terme un peu trop facilement.

Lucile : Oui, c’est une question difficile.

Je me souviens avoir vu une illustratrice américaine qui avait fait une affiche sur des postures de yoga en mettant les noms américanisés des postures (note : par exemple « chien tête en bas » à la place de Adho Mukha Svanasana). Elle avait eu beaucoup de commentaires qui lui reprochaient de s’être approprié le yoga.

Si quelque chose d’aussi innocent que le yoga peut créer autant de dissonance des deux côtés, je ne sais pas si je me lancerai comme défi de créer une affiche de yoga. Il est difficile de se positionner parce qu’on ne sait pas comment ce positionnement sera accueilli.

Quelquefois, au lieu de participer activement à un challenge ou à un mouvement culturel, je préfère repartager des choses que les personnes concerné.e.s ont faites, plutôt que d’ajouter une pierre à un édifice qui peut-être pourrait être mal compris ou mal interprété.

Être une femme, un avantage ou un frein dans le métier ?

An : On m’a beaucoup demandé si le fait d’être une femme donne un avantage ou, au contraire, un inconvénient dans notre métier ?

Avant de me lancer dans ce métier, j’ai travaillé dans un milieu où il est difficile d’être étrangère, où il est difficile d’être une femme, et où il est difficile d’être jeune ! Du coup, aujourd’hui, je ne vois que le bonheur dans mon nouveau métier ! Mais mon point de vue est biaisé.

Et toi, qu’en penses-tu ?

Lucile : Je pense que ça dépend du milieu dans lequel on évolue.

J’ai trouvé que c’était plus dur d’être une femme en agence de communication, et que c’était moins difficile en indépendante.

Je parle de vécu. Je trouve qu’il y a un côté assez vieux jeu et misogyne dans les agences de communication ou j’ai travaillé (par contradiction avec la scale-up dans laquelle j’ai évolué par la suite). J’ai eu l’impression d’être considérée comme la petite fille mignonne qui vient quémander du travail, lors de mes déplacements pour rencontrer des clients potentiels. Alors que je n’ai pas de problèmes derrière un écran ordinateur.

Mais quand tu es à ton compte, tu peux choisir qui tu essaies d’attirer comme client, et comme membre de ta communauté.

Source : www.lucile-escallier.com

Je sais que je ne travaille qu’avec des femmes depuis 2020. Ce n’est pas spécialement ma volonté à la base. C’est juste que je pense que j’ai affirmé des choses par rapport à ma personnalité, qui ont fait venir plus de femmes à moi. Comme j’ai des clients, des prospects et un entourage qui est plutôt féminin, il n’y a pas de problème au fait que je sois une femme.

Par contre, si je ne faisais que du graphisme pour des concessions automobiles, peut-être qu’on me verrait encore comme la petite fille mignonne qui dessine des fleurs.

La créativité aux services des autres

Le lien précieux avec les clients

An : Quel a été le meilleur feedback (note : retour) que tu as reçu ?

Lucile : Il y en a plein ! Le meilleur que j’ai pu avoir, c’est une cliente qui m’a envoyé une carte pour me remercier.

C’est fou d’avoir reçu une lettre de quelqu’un pour me remercier du travail qu’on a fait ensemble. C’était une prestation, elle m’a apporté autant que je lui ai apporté, mais elle m’a écrit une lettre…

Et je trouve aussi dingue d’avoir autant de personnes qui suivent mon travail et interagissent avec ce que je fais et me donnent leur avis. Je suis très reconnaissante de toute cette émulsion, de tous ces échanges.

An : Tes images ont le pouvoir de toucher aux émotions des gens, c’est peut-être pour ça que le lien entre toi et tes clients, ou tes abonnés, est aussi fort.

Lucile : Oui. Et c’est une vraie différence par rapport à d’autres expériences que j’avais.

Dans mon ancien emploi, je travaillais à la rétention client. Je travaillais pour mes collègues : ils me donnaient un brief, on travaillait ensemble dessus, puis le client recevait le contenu par l’intermédiaire d’une plateforme ; je n’avais jamais reçu directement de feedback client.

Il y avait toujours cette ligne entre toi qui travailles dans l’ombre, et le client qui ne voit l’entreprise que comme une entité.

C’est intéressant de collaborer vraiment d’humain à humain. On a beaucoup plus d’interactions et on assiste à toutes les phases du projet. C’est beaucoup plus gratifiant.

Notre valeur est dans une relation authentique

An : Penses-tu que des templates tout-fait, des applications qui génèrent automatiquement des illustrations, ou l’intelligence artificielle, sont des menaces pour notre métier ?

Lucile : Non, je les vois plus comme des outils.

Je suis vraiment contente si, en faisant un template pour une cliente, elle peut se servir de sa marque correctement, je trouve ça valorisant pour elle d’avoir sa propre indépendance avec ce qu’on a créé auparavant.

Je considère que ce sont des outils qui peuvent nous permettre de valoriser encore plus le travail qu’on fait, pour les clients qu’on a.

On a des styles particuliers, en tant qu’illustrateur.trice ou en tant que graphiste, et je ne suis pas sûre que la technologie ou l’intelligence artificielle soit capable de recréer le style de tout le monde. Les gens viennent nous voir parce qu’on dégage quelque chose qu’ils apprécient. C’est le côté humain qu’ils recherchent.

Après, ça reste d’excellents outils pour des personnes qui ont envie de s’amuser avec pour enrichir leur univers. Mais je ne pense pas que ça pourra se substituer à l’humain.

Source : Instagram studio.notagraphe

L’administratif : le parpaing des créatif.ve.s

An : Dans le livre Comme par magie, Elizabeth Gilbert a parlé du concept : la tartine de m*rde.

Quand on regarde n’importe quel métier d’un point de vue externe, on ne voit que les avantages. Alors que tous les métiers possèdent sa tartine de m*rde. Ce sont des risques, des contraintes, des difficultés que seuls ceux qui font le métier connaissent.

D’après toi, quelle est la tartine de m*rde de ton métier ?

Lucile : La première chose qui me vient à l’esprit, c’est l’administratif.

Quand tu regardes notre métier d’un point de vue extérieur, on dessine toute la journée, on travaille sur des projets sympas, et on fait son emploi du temps à soi…

Mais à côté, tu dois calculer tes cotisations sociales, refaire ta compta, faire tes propres factures, les vérifier, se débrouiller avec les impôts quand quelque chose foire, gérer tes propres prélèvements, calculer toutes tes charges, ce que tu dépenses en logiciel, …

Et tu dois faire tout ça sur ton temps de travail, sans être payé !

J’ai une espèce de phobie administrative. En plus de ça je suis dyscalculique (note : trouble spécifique des activités numériques). Donc c’est vraiment dur de faire ma comptabilité sans pleurer.

Oui, l’administratif est la tartine de m*rde ultime.

Ressources pour débuter

Toutes les expériences sont à valoriser

An : Quelle est la chose la plus importante pour débuter, selon toi ? Et avais-tu des ressources qui ont pu t’aider au début, que tu pourrais conseiller à celles et ceux qui débutent ?

Lucile : Je pense qu’il faut avoir testé un minimum le monde de l’entreprise avant de se lancer.

J’ai beaucoup appris en regardant comment travaillaient les autres : comment les chefs de projet géraient leurs projets, comment ma manager gérait notre semaine, quels outils on utilisait…  J’ai travaillé avec des indépendants, et je sais ce que j’ai aimé voir chez eux et ce que je n’ai pas aimé. Ce sont des ressources que je n’aurais pas eues en me lançant directement après l’école.

J’en ai fait d’ailleurs une première expérience entre ma licence et mon master. Pendant un an, j’ai pris des projets en indépendant, et ça ne s’est pas bien passé. Parce que je n’avais pas assez d’expérience pour bien gérer un projet, pour bien gérer mon temps et comprendre les enjeux derrière les projets clients.

Mais quand tu as été du côté de l’entreprise, tu as une autre vision. Même quand on a eu un travail qui n’avait rien à voir avec la créativité, on peut acquérir des compétences transversales qu’on peut réadapter à sa prochaine vie professionnelle.

Soyez attentif sur l’aspect financier

Lucile : Une autre ressource que je trouve très importante : ne pas se lancer sans aucun filet de sécurité.

De mon expérience, il y aura toujours un creux dans le travail en indépendant. Si tu n’as pas les ressources financières ou amicales, ou familiales, pour te redonner l’impulsion, c’est là que tu risques d’être obligé d’abandonner.

Dans mon cas, j’étais au 4/5ème pendant mes derniers mois de salariat, j’avais déjà monté mon entreprise un an avant et j’avais déjà des clients. Je n’ai pas eu le droit à une rupture conventionnelle, donc j’ai dû démissionner.

Comme j’avais déjà mon entreprise, je n’ai pas eu droit au chômage. Cependant, si j’avais attendu de quitter mon travail salarié pour avoir des allocations avant de me lancer, je n’aurais pas pu tester mon activité avant de partir.

Il faut bien s’informer sur ce dont on a droit ou non et faire le choix le plus adapté à son cas.

D’ailleurs, je conseille à tous.tes de prendre un logiciel de facturation ! Faire ses factures tout seul, c’est du temps perdu.

La bonne attitude envers les proches

An : As-tu un mot à partager à celles et ceux qui souhaitent se lancer, et aux proches des futurs illustrateur.trice.s qui sont contre leur choix ?

Lucile : Pour les proches, déjà, ça sera : les illustrateurs ont déjà UN travail, ils doivent juste trouver DU travail, c’est très différent.

Pour les illustrateurs en devenir, ce serait de montrer à leurs proches qu’ils s’amusent au travail. Il faut être enthousiaste, car on donne l’impression d’être plus investi et d’avoir plus confiance en ce qu’on fait.

Source : Instagram studio.notagraphe

Osez demander !

An : As-tu un conseil pour ceux qui rêvent de devenir illustrateur ?

Lucile : Il faut s’entourer, trouver une communauté pour s’entraider.

Je faisais des entretiens avec des collectifs d’indépendants pour en apprendre plus sur le métier. J’ai fait du coaching avec une indépendante pour savoir comment faire mes factures, quels étaient les tarifs dans mon métier…

Être à plusieurs te permet d’avoir des expériences différentes et de comprendre quelles sont tes motivations, par rapport au travail des autres.

Il ne faut pas avoir peur de déranger. On surestime souvent l’ego des personnes qui réussissent et on n’ose pas leur poser des questions sur leur métier.

Je suis étonnée du nombre de personnes qui me posent des questions et ajoutent ensuite : « Si tu ne veux pas me répondre » ou « Si ça te dérange »…

On est là pour s’entraider, c’est aussi ça le réseau. Plus on partage de choses et plus on grandit les uns et les autres, et plus on grandit en tant que communauté.

Lucile est en train de préparer quelque chose très chouette…

An : As-tu des projets à venir, ou un rêve que tu aimerais réaliser ?

Lucile : J’ai plusieurs projets en cours et mon début d’année est pas mal pris.

Sinon, en parlant de rêve, j’aimerais avoir mon propre atelier, ou un petit café qui fait atelier, pour accueillir d’autres indépendants, comme une résidence d’artiste. Ils pourraient venir travailler et animer des ateliers pour faire découvrir ce qu’ils font.

J’habite dans une région qui n’est pas très dynamique en termes d’indépendants, mais on a un gros secteur touristique. Et je pense que ce serait cool de pouvoir inviter d’autres indépendants, qui pourraient profiter de leurs vacances à la plage, travailler dans un cadre différent et partager leur métier avec d’autres personnes.

An : Et ton idée de projet pour le membership (note : adhésion) en ligne est toujours d’actualité ?

Lucile : Oui, c’est toujours d’actualité ! C’est un projet qui me tient beaucoup à cœur, mais j’ai un gros syndrome de l’imposteur et j’ai très peur de me lancer. J’ai encore du mal à rendre ça accessible et concret. Je pense m’engager pour janvier. Je m’engage avec toi, hein. *rires*

An : Et maintenant, tous les lecteurs de mon blog sauront que tu t’es engagée !

Lucile : Finalement, ce que je veux faire avec mon membership, c’est de créer un espace virtuel dans lequel on puisse se retrouver, discuter, travailler ensemble… Et c’est un peu une petite partie de mon grand rêve.

Source : Instagram studio.notagraphe

Vous pouvez retrouver Lucile sur Instagram studio.notagraphe, ou sur le site lucile-escallier.com

Giveaway

Pour cette première série spéciale sur le blog, je voudrais offrir un colis avec 5 œuvres, venant de chaque invité.e de cette série spéciale, à une chanceuse ou un chanceux parmi vous.

Si vous voulez participer au giveaway, voici le lien : https://forms.gle/Zr1zUMSQZsxfgPKk7

Je prévois aussi 1 cadeau surprise pour chaque participant au giveaway !

Osez demander & Keep creating!

Tu Ha An

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