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Histoire de création : Petites Pattounes – Quand la créativité va de pair avec l’apaisement (2/2)

« Les histoires de créations » est la nouvelle rubrique du blog, là où chaque saison de l’année, je vais à la rencontre d’une créatrice ou d’un créateur pour écouter son histoire. La création peut être le métier principal de nos invités, ou un parmi leurs métiers exercés, ou juste un pur hobby.

Avec les histoires de créations, j’espère casser les clichés qui creusent l’écart entre la vision du grand public sur les métiers créatifs et la réalité.

Personnage de l’été : Diệu Lan (Ziolan) de Petites Pattounes

Cet article est la suite de l’article « Histoire de création : Petites Pattounes – Quand la créativité va de pair avec l’apaisement (1/2) : La création commence quand la personnalité est trouvée » publié le 5 septembre 2022.

Deuxième partie

Le choix de NE PAS suivre un métier créatif

Devenir influenceuse n’est pas le but ultime de la création de contenu

Lan : Certains spectateurs adorent mes vidéos et ne comprennent pas pourquoi ma chaîne n’a pas plus d’abonnés. Certains regrettent même que je n’aie pas atteint le niveau d’influenceuse. Toutefois, ce n’est pas quelque chose qui me gêne.

Si tu regardes mes vidéos et que tu lis mes articles, tu sais très bien qu’ils n’ont pas de « contenu ». Je raconte ma vie, en fait. Les gens regardent uniquement s’ils s’intéressent à moi en tant que personne, s’ils voudraient savoir ce que j’aime en ce moment, ou ce que je fais en ce moment.

Au moins, je sais que tout ce que je crée est authentique. Je ne veux pas faire de la publicité pour des produits que je n’utilise pas en temps normal.

Imagine si j’avais l’occasion de faire de la pub pour les produits que j’adore…

Comme la marque Kiwico des DIY que je montre dans mes vidéos par exemple. Je ne sais pas, qu’est-ce qu’ils attendent pour me contacter ? Haha… J’imagine continuer à faire ce que je fais d’habitude, mais en étant payée, ou qu’on m’offre carrément le kit DIY.

C’est pareil pour Quelle histoire. J’ai toute la collection à la maison. S’ils me demandaient de partir tout de suite pour la mission Bretagne, je n’hésiterais pas une seule seconde ! Leur bouquin ne coûte que 6 €, mais il n’y a pas de problème !

Mais après, il faut aussi penser à l’engagement, et à faire du storytelling.

Regarde la vidéo dans laquelle j’ai parlé de la mission Mont-Saint-Michel, je suis restée dessus seulement 30 secondes. J’ai dit que c’était trop cool, et c’était tout. Je suis tout de suite passée à autre chose après ça.

Je connais une amie qui a déjà eu des partenariats avec des marques. Même s’il s’agissait d’un produit qu’elle aimait, elle ressentait quand même la pression liée à l’obligation de créer du contenu, vu que le contrat a été signé.

Il y a plusieurs vidéos que je n’ai pas mises en ligne, uniquement parce que je ne les trouve pas assez bien. Je suis donc contente d’avoir la liberté d’annuler les projets dont je ne suis pas satisfaite, ou auxquels je ne suis plus intéressée.

Les deux pôles d’un aimant

An : Dans tes vidéos et dans tes articles de blog où tu racontes tes anecdotes de vie, tu parais si pétillante, joyeuse et jeune avec tes expressions en franglais. Pourtant, j’ai remarqué que tu ne chantes que des chansons tristes, mélancoliques, profondes…

Lan : Oui, je sens qu’une partie de moi est restée dans le passé. J’aime le langage du passé, j’aime la musique du passé.

Je suis beaucoup influencée par ma sœur, Anh. La musique qu’elle écoutait, les affiches qu’elle ramenait de France, une fois tous les quatre ans, étaient pour moi des vagues de culture.

À l’époque, Anh n’avait que des CD faits maison avec 20 chansons maximum. Je les écoutais en boucle. Comme j’ai découvert ces chansons au même moment, dans ma tête, Mano, Patrick Bruel ou Jacques Brel venaient de la même génération. Mes amis français étaient tous surpris que je connaisse des chansons aussi anciennes.

J’étais passionnée par le monde d’Anh. Je m’accrochais à ces vagues de culture. C’était peut-être la raison pour laquelle le décalage entre moi et mes camarades de classe se creusait de plus en plus.

Certaines personnes jugent que j’ai perdu mes racines. Personnellement, je pense que ma partie vietnamienne s’est ancrée profondément en moi sans absorber les touches de la culture moderne.

Je me suis rendue compte que je ne connaissais pas si bien mon pays d’origine. Quand je vivais encore au Vietnam, j’étais encore mineure, je n’avais pas souvent l’occasion de voyager et de découvrir mon pays.

En 2018, je suis rentrée au Vietnam. Je suis allée visiter Huế avec Victor (note: le compagnon de Lan). Victor lisait les présentations situées devant les monuments, et par curiosité, il me posait des questions sur les détails. J’étais incapable d’y répondre. C’était la raison pour laquelle j’ai décidé de démarrer le projet sur l’Histoire de la France et du Vietnam.

C’était le seul « vrai » contenu sur mon blog. Et ça, pour le coup, j’en suis très fière. Je reviens souvent là-dessus. Quand je voyage, je regarde toujours où on est, à quelle époque c’était. Et je cherche quel événement s’est passé au Vietnam à la même époque.

L’attitude envers le talent

An : L’article sur l’Histoire de la France et du Vietnam est-il le projet qui te rend la plus fière ?

Lan : Non. La vidéo dont je suis la plus fière est la reprise de Chanson d’ami. Mais personne ne la regarde ! Haha…

An : Hey… moi, j’ai regardé !!!

Lan : Ah, je compare avec les chansons comme Dix ans de nous ou Je suis de celles qui avaient énormément de vues alors que je pensais que personne ne s’y intéressait. J’ai passé beaucoup de temps sur Chanson d’ami et je pensais qu’elle cartonnerait. Et finalement, le nombre de vues est vraiment modeste.

Mais j’en suis quand même très fière, puisque c’était une chanson difficile à enregistrer. Je me suis moi-même tirée une balle dans les pieds lors de l’enregistrement. J’ai enregistré séparément le chant et le piano. Quand je jouais du piano, je me suis laissée emportée par mon inspiration. Parfois, je jouais plus vite, parfois, je ralentissais. Sans compter les tap-tap des marionnettes… Pendant le tournage, je n’ai pas tapé en suivant le rythme de la chanson. Le montage est donc devenu super compliqué et prenait énormément de temps.

Cette chanson est aussi très spéciale pour moi. Je la chantais depuis l’époque où j’étais encore dans le cabaret de la jury française que j’ai rencontré au lycée (voir la Première partie).

Sinon, je suis fière de toutes mes vidéos de chant, vraiment. J’y mets tout mon cœur.

La seule chose à laquelle je sais que je suis douée, c’est le chant. Ce n’est ni le piano, ni mon travail à plein temps actuel.

Je sais que je chante bien.

Je pense qu’il faut avoir conscience de ses compétences et les assumer.

An : Je suis d’accord. Si même toi, tu ne te rends pas compte de ta valeur, comment les autres peuvent te faire confiance en te confiant de grandes opportunités ? J’ai l’impression que, souvent, quand on affirme qu’on dessine bien, ou qu’on chante bien, la personne en face juge directement qu’on a une grosse tête. Alors qu’on n’est pas en train de dire que tous les dessins des autres sont laids ou qu’on est le meilleur chanteur du monde.

Lan : Il y a un trait culturel chez beaucoup de jeunes Vietnamiens que je n’encourage absolument pas : c’est le fait de se rabaisser en permanence. Je connais beaucoup de personnes qui se rabaissent en attendant que la personne en face les console, et leur fasse des compliments pour les revaloriser.

Je ne flatte jamais l’égo de ces personnes en leur offrant mes compliments.

Au bout d’un certain âge, tu as la responsabilité de comprendre qui tu es et ce que tu vaux.

Exercer un métier créatif : avoir du talent ne suffit pas

An : Tu es consciente que tu chantes bien. Alors pourquoi tu n’as pas choisi la musique au moment du choix de la voie professionnelle à 18 ans ?

Lan : Parce que, je ne pense pas que j’étais assez bien.

Je chante mieux aujourd’hui, puisque j’ai ma personnalité actuelle. À l’époque, j’avais du goût et j’avais un certain niveau. Mais il me faut de la maturité pour interpréter entièrement les sentiments dans chaque chanson.

An : Et aujourd’hui, y a-t-il des moments où tu penses à devenir chanteuse professionnelle ?

Lan : Haha… J’attends qu’on me contacte, là !

Après, encore une fois, c’est la question de l’engagement. Quand on est sur scène, il faut performer.

Je sais que mon point fort est la capacité de transmettre les émotions dans une chanson.

Si je chante par obligation, je me sentirai bloquée. Si je n’arrive pas à être émue avec les paroles, je serai incapable de chanter.

Plusieurs fois, j’avais du temps pour enregistrer une chanson, mais ça tombait sur les jours où ma voix n’était pas au top, alors c’était impossible pour moi de chanter.

Je mets beaucoup de temps pour sortir une vidéo de chant. Et ce n’est clairement pas la stratégie pour construire une carrière durable.

Pour se développer dans un milieu professionnel, il faut aussi avoir des relations. Je ne suis pas douée à faire du networking ou à prendre l’initiative pour créer un contact.

Ou sinon, il faut avoir une équipe. Mais je sais que je suis très exigeante. C’est difficile à expliquer… Souvent, on ne comprend pas pourquoi j’exige un certain niveau chez les collaborateurs, alors que moi-même, je ne peux pas atteindre ce niveau.

An : Je pense que c’est comme le cas des experts qui jugent les plats dans les restaurants gastronomiques. Ça se peut qu’ils ne soient pas les meilleurs cuisiniers du monde, mais ils savent exactement à quoi ressemble un bon plat. Ils ont de la connaissance et de la sensibilité dans leurs papilles.

Lan : Exactement ! Je connais un pote qui est excellent en piano. À chaque fois que je performe avec lui, je n’ai pas besoin de me soucier du piano, puisque je sais qu’il va gérer à merveille.

Mais fonctionner en équipe dépend aussi de l’envie de la personne, de la compatibilité dans les goûts et également de la disponibilité de chacun.

Ce pianiste talentueux est dans le même cercle que des personnes venant de mon environnement malsain du passé. Et moi, je n’ai pas envie de construire des liens avec ce passé.

J’ai aussi du mal à trouver une personne sur qui je peux compter, pour construire des projets ensemble.

La personne qui répond à toutes mes exigences et à qui je peux faire totalement confiance est ma sœur, Anh. Elle est aussi une excellente pianiste. Mais Anh n’aime pas jouer. Et bien évidemment, je ne veux pas la forcer.

Le point de vue sur la carrière

Lan : Je me sens rassurée d’avoir un boulot avec un salaire fixe qui me permet de m’investir dans des projets personnels.

Grâce à ce métier en lien avec la clientèle et grâce à mes anciens collègues, j’ai appris énormément de compétences générales. Ce métier me force à trouver ma personnalité. Avec du recul, choisir cette voie était la bonne décision.

Dans le futur, si je peux continuer à exercer mon métier tout en ayant l’opportunité de chanter sur scène, ce sera la situation parfaite.

Aujourd’hui, ce métier me permet d’avoir un maison, d’avoir un endroit où je peux chanter tranquillement. Je pense que j’ai opté pour la bonne stratégie.

An : Je trouve qu’on idéalise trop le fait de tout quitter pour suivre sa passion. Je n’ai quitté mon emploi stable qu’au moment où j’ai assez testé pour être sûre de pouvoir survivre avec mon nouveau métier créatif. J’ai même économisé assez d’argent pour avoir un parachute au-cas-où.

Lan : Mais je trouve que déjà, tu es très studieuse, vu que t’arrives à respecter ton planning éditorial.

An : C’est la première fois que j’y arrive. (note : en parlant du blog)

Lan : Je parle aussi des deadlines d’envoi de croquis et de dessins quand nous travaillions ensemble.

An : Mais c’est différent, c’est du boulot…

Lan : Si le projet créatif devient mon boulot à plein temps, je ne pourrai pas respecter les délais stricts comme toi.

Si je dois commencer la carrière de chanteuse aujourd’hui, maintenant, tout de suite, c’est sûr que je ne pourrai pas m’en sortir.

A propos de l’avenir

An : Sur le plan créatif, quel est le meilleur conseil que tu as reçu ?

Lan :

An : Et le pire alors ?

Lan : Rien… parce que je ne cherche pas de conseils.

J’ai ma propre vision et je voudrais que ce soit exactement comme ça alors je ne pose pas de question aux autres.

Tout à l’heure je disais que je voulais une équipe mais je ne pense pas que je fonctionnerais bien avec une équipe.

Dans tous les domaines de la vie, quand je suis sûre de moi, les critiques ne m’atteindront jamais. Mais c’est l’inverse quand je ne suis pas sûre de moi. Prenons l’exemple de cette table, je ne suis pas sûre qu’elle puisse matcher avec ma cuisine. Si je demandais l’avis de Victor et s’il n’aimait pas la table, je serais irritée.

En conclusion, je demande des avis uniquement pour chercher la confirmation des autres quand je doute de moi-même.

An : Tu viens de parler de ta vision. Alors, quelle est ta vision, ou ton rêve, pour Petite Pattounes ?

Lan : Dans un monde parfait, où je n’aurais pas besoin d’argent, je ferais uniquement des DIY et je serais enseignante. Je voudrais aider les enfants.

Avant le premier confinement en France (note : en mars 2020), j’étais tellement habituée à mes tâches au boulot que je fonctionnais presqu’en mode pilote automatique. A cette période, je pensais continuer comme ça, et me consacrer à Petites Pattounes le reste du temps.

J’ai réfléchi à la possibilité de vendre mes produits faits-main sur Etsy.

Puis, il y a eu la pandémie. J’ai cousu des masques pour les offrir à mes voisins et à mes amis. J’ai optimisé le processus comme si j’étais en usine. Pour 20 masques, je faisais la même ligne de couture sur tous les 20. Puis je les ai tous retournés, et je faisais exactement la même couture, à nouveau 20 fois. Ce n’était que 20 masques, mais je m’ennuyais à mort déjà. Alors j’ai réalisé que vendre des produits n’était pas ce que je voulais faire.

Ça pourrait marcher si je déléguais pour que quelqu’un d’autre déploie mes idées. Mais je ne fais confiance qu’à moi-même, comment je pourrais faire fonctionner ce genre de business ?

J’ai aussi pensé à devenir enseignante, puisque je suis pédagogue et que les enfants m’adorent.

Suite à mes expériences personnelles, au lycée, je souhaiterais apporter des différences, d’une façon ou d’une autre, dans le système d’éducation. Mais pour cela, il faut avoir le diplôme adapté, et mon niveau de salaire ne serait plus le même.

Récemment, je viens de commencer un nouveau poste dans une nouvelle entreprise. Je commence à attaquer un niveau supérieur dans ma carrière avec des tâches plus difficiles. Si je n’avais plus mon salaire actuel, mon train de vie serait différent, et je ne pourrais peut-être pas faire des projets créatifs que je fais aujourd’hui.

Je veux aussi avoir des opportunités pour intervenir auprès des jeunes en tant que conférencière. Je voudrais aller dans les lycées au Vietnam pour organiser des échanges d’inspiration et d’orientation en partageant mon retour d’expériences. Néanmoins, je ne sais pas si c’est faisable.

C’est risqué car j’ai peur. En fait, j’ai peur des lycéens.

An : C’est comme s’il faut retourner en arrière et faire face à un monstre qui t’a longtemps hanté, n’est-ce pas ? Je crois que le plus haut niveau de l’apaisement, c’est d’arriver à apprivoiser le monstre du passé.

Lan : Je ne suis pas encore à ce niveau-là. Parce que je ne suis pas encore prête à régler ce problème. J’évite tout simplement tout ce qui rappelle le trauma du passé. Bien-sûr que ça ne vaut pas le coup d’y penser tous les jours. J’ai décidé d’être heureuse et joyeuse. Et heureusement, que je suis bien entourée.

Voilà, j’ai beaucoup d’idées et beaucoup d’espoir… Mais est-ce que je vais me lancer là, maintenant, tout de suite ? Non.

J’essaie d’abord de trouver la stabilité dans mon boulot, et on verra pour la suite. Il y aura sûrement des après-midi où je suis dans le mood, et je ferai des chit-chat DIY pour raconter des conneries.

An : S’il faut choisir un mot pour décrire ton blog et tes vidéos, je dirais « étincelant ». Tu tiens cette étincelle brillante venant des moments de bonheur du quotidien. Avant, quand je travaillais encore en entreprise, les jours où je devais affronter les situations difficiles, je profitais toujours de la pause de midi pour aller lire ton blog. De temps en temps, il y avait un nouvel article. Et pour moi, c’était comme si un cadeau surprise se déposait dans ma boîte aux lettres.

Lan : Je me sens complètement satisfaite quand tu dis que tu considères Petites Pattounes comme une source d’énergie positive.

An : Si t’avais eu l’occasion de voir ton « toi » du passé, Lan, d’il y a 10 ans, que lui dirais-tu ?

Lan : … Ça va aller mieux !

Vous pouvez retrouver Lan sur le blog Petites Pattounes ou sur YouTube

Ça va aller mieux & keep creating!

Tu Ha An

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