Tu Ha An - Illustration Onirique & Multiculturelle

Chloé Laborde, éditrice chez l’Élan vert : « On a envie que tous les enfants se reconnaissent ! »

Cet article est rédigé conjointement avec Jo. Edité par Jo, mon éditrice en cheffe

A la suite des interviews de 6 illustrateur.trice.s pour la série spéciale « Illustrateur.trice : le métier », et en discutant avec certain.e.s lecteur.trice.s du blog, j’ai constaté que beaucoup d’artistes hésitent, voire s’interdisent, de s’inspirer des éléments culturels. Ils ont peur de tomber dans l’appropriation culturelle, ou de froisser les personnes venant de cette culture.

C’était là qu’est née mon envie de discuter avec un.e représentant.e du secteur de la publication des ouvrages illustrés, pour avoir son point de vue sur cette problématique non-anodine.

Il y a peu de temps, j’ai découvert le travail de la maison d’édition l’Élan vert en me baladant dans le sous-sol d’une grande librairie, pour chercher un cadeau à mon filleul, un enfant vietnamien né en France. Je voulais donc lui trouver un livre qui lui permettrait d’être confortable avec sa différence d’origine et d’apparence physique par rapport à ses futurs camarades à l’école.

C’était à ce moment-là que je suis tombée sur Je t’aime! un livre publié par l’Élan vert. C’est l’histoire d’une petite fille qui demande aux voisins d’écrire « Je t’aime ! » sur son dessin, et découvre les différentes façons d’exprimer l’amour dans différentes langues. Cette histoire est remplie de mignonneries, et son approche pour représenter la différence culturelle est tellement intelligente.

Sources : Facebook Editions de l’Elan Vert (pour les images du haut et l’image de gauche) ; article Canalblog de Mademoiselle Coralie* (pour l’image du bas)

Pour cette première interview de l’année 2023, j’ai eu l’honneur d’échanger avec Chloé Laborde, éditrice chez l’Élan vert.

Comme abordé au début de cet article, dans cette entrevue, vous allez découvrir le sujet de la représentation de la diversité dans les œuvres jeunesse, dans une ambiance détendue, remplie de bonne humeur. Vous découvrirez aussi les coulisses de l’édition jeunesse. Et de plus, cet article est également une mine d’informations et de conseils pour les illustrateur.trice.s qui souhaitent travailler dans le monde de la littérature jeunesse.

Table de matières

Étant donné que la conversation est longue, voici la table des matières, pour faciliter votre lecture, votre relecture, et vos futures recherches :

L’Élan vert – l’élan vers l’ouverture

Les origines de l’Élan vert

Tu Ha An (An) : Une première question, par simple curiosité : Pourquoi le nom « L’Élan Vert », pour la maison d’édition ?

Chloé Laborde (Chloé) : L’Élan Vert a été créée en 1998 par Jean-René Gombert et Amélie Léveillé. Ils avaient déjà de l’expérience dans l’édition. Jean-René avait créé une maison d’édition au Canada qui s’appelait Études Vivantes, et il souhaitait reprendre les initiales, donc E et V.

L’Élan Vert était aussi au départ beaucoup plus documentaire. Il y a toujours eu cette envie d’être proche de l’environnement, de travailler en bonne intelligence avec la nature qui nous entoure. Il y avait aussi ce jeu de mot pour l’élan vers la lecture, vers l’imaginaire. C’était bien trouvé !

Au début, nous faisions beaucoup d’achats de droits. Nous étions packager. Dans l’édition, le packaging est une proposition de projets à d’autres maisons d’édition. Toutes les maisons n’ont pas des éditeurs en interne. Elles peuvent faire appel à des éditeurs indépendants. Nous travaillions pour d’autres maisons d’éditions, comme Bilboquet, ou Vilo jeunesse… Nous montions leur programme éditorial, et c’était publié sous leur marque. C’est eux qui payaient les auteurs et les illustrateurs, et nous, on cherchait les projets pour eux.

Nous avons développé le catalogue qui nous représente aujourd’hui à partir de 2007.

L’élan vers la diversité culturelle

An : Vous aviez déjà envie de parler des sujets qui tendent vers l’ouverture et la diversité en 1998, ou vous avez développé cette envie spécifiquement à partir de 2007 ?

Chloé : J’ai rejoint l’aventure de l’Élan Vert en 2007, au moment où l’Élan Vert a commencé à développer ce catalogue. Avant, j’avoue, je ne sais pas.

Les bureaux des éditions de l’Elan Vert. Source : livre.ciclic.fr

Nous avons d’abord développé une collection sur l’environnement, et ensuite, notre collection Pont des Arts, qui parle de l’Art aux enfants. Et en parlant d’Art, on parle forcément de la diversité culturelle.

Ça nous plaisait de parler d’artistes internationaux, ou de mettre en avant la beauté et l’utilité d’objets d’autres cultures. C’était le cas pour la poupée AKUA-Ba pour la maternité, et la natte wayana, en Guyane, pour un rite initiatique de passage de l’enfance à l’adolescence.

Source : elanvert.fr

Nous avons toujours aimé les contes du monde. A l’époque où nous étions packager, pour Vilo jeunesse, nous avions la charge du montage éditorial d’une collection de contes. Il y avait des contes sur des sujets, mais aussi des contes de différents pays : des contes du Vietnam, des contes de Russie… Nous avions envie de ne pas nous limiter au monde occidental.

L’Élan vert, constructeur d’univers

An : J’ai une autre question, par simple curiosité. J’habite à Dijon, et j’ai vu que vous aviez un livre qui s’appelle L’Ours Pompon et la baleine Gobe-Tout. Est-ce que l’ours blanc est l’ours qui a été créé par François Pompon, qui se trouve aujourd’hui au centre-ville de Dijon ?

Chloé : Oui ! Il est au musée d’Orsay aussi et c’est à cette œuvre d’art-là qu’on fait référence !

A la base c’est un pont des arts qui s’appelle L’Ours et la Lune. Cet album a vraiment trouvé son public, et on a fait un autre livre au format carré qui est donc L’Ours Pompon et la baleine Gobe-Tout, qui parlait de la pollution plastique des océans. Il y avait un tout-carton aussi, pour les bébés. Avait car ces 2 autres ouvrages sont aujourd’hui épuisés mais une réimpression n’est absolument pas exclue.

Et on a même une peluche. La peluche de l’ours Pompon ! Elle est si douce ! *rires* C’est assez mignon et ça fait sens d’avoir l’album et la peluche ensemble.

Source : elanvert.fr

Transmettre la beauté de la diversité par les coups de cœur

« On a envie que tous les enfants se reconnaissent »

An : Je suis heureuse de voir qu’aujourd’hui, il y a de plus en plus de contenus qui touchent la diversité culturelle, la diversité de genre, ou la diversité corporelle…

Cependant, je trouve dommage que les vagues de critiques issues du mouvement woke et de la cancel culture peuvent faire hésiter les illustrateur.trice.s et les créateur.trice.s, surtout ceux qui sont identifiés comme majorité, de s’inspirer des autres cultures et des autres problématiques pour leurs œuvres.

Du point de vue de l’éditeur, en ayant pour mission d’aborder le sujet de la diversité, avez-vous rencontré des hésitations, des peurs ou des obstacles ?

Chloé : Nous n’avons pas tellement d’hésitations, parce que nous sommes vraiment dans l’album.

Je sais qu’en Allemagne, il y a eu un gros problème autour des Amérindiens, où de nos jours, ce n’est plus possible de raconter des histoires d’Indiens, car on estime que le point de vue retenu est colonialiste et fantasmé. J’ai l’impression qu’il y a moins ce rejet en France.

Jusqu’à maintenant, nous avons fait des contes du monde, nous avons fait du mieux que nous avons pu, et nous ne nous sommes pas sentis illégitimes.

À l’inverse, nous essayons de montrer la vie avec la réalité du quotidien. Nous avons envie que tous les enfants se reconnaissent, alors nous n’allons pas hésiter à inclure des enfants de toutes les origines, de toutes les couleurs de cheveux, de toutes les couleurs de peaux, et de toutes les morphologies.

En réalité, c’est plus dur pour les morphologies, car souvent, les illustrateurs ont tendance à dessiner des personnages parfaitement dans la norme, alors qu’on aurait envie de montrer que le monde est pluriel.

D’ailleurs, nous le faisons plus souvent dans les ouvrages où la diversité n’est pas le sujet de l’histoire. Nous montrons juste que, voilà, le monde est comme ça.

Chez l’Elan Vert, nous essayons d’être ouvert au maximum. Nous n’avons pas d’ouvrages sur un sujet frontal. Mais dans notre livre Nous, les enfants, il y a une sortie d’école où dedans, nous avons mis deux papas. Ce n’est pas écrit, ils ne sont pas en train de s’embrasser, ils ne font qu’attendre leurs enfants. Chaque lecteur est libre de son interprétation.

Source : elanvert.fr

Concernant les questions d’identité, nous n’avons pas encore trouvé de textes qui nous ont donné envie de sauter le pas pour en faire un album. Nous aurons bientôt un roman sur le sujet, mais pas encore d’albums.

L’Élan vert n’est pas un éditeur militant comme Talents Hauts, La Ville Brûle, ou encore Rue du monde, qui sont très engagés dans l’ouverture à la lecture, à la diversité, le féminisme… Nous, notre objectif avant tout, est de faire rêver les enfants.

An : Je pense que, bien sûr, on a besoin d’ouvrages militants. Ils donnent de la force à ceux qui en ont besoin et qui veulent porter, revendiquer, transmettre ces valeurs. Ces ouvrages restent des sources d’informations et d’arguments pour en discuter avec notre entourage.

Cependant, je trouve que, principalement, cette approche ne peut convaincre que des gens qui sont déjà d’accord.

Alors qu’avec une approche plus douce comme la vôtre, qui fait rêver, avec beaucoup d’humour également, on peut aborder des sujets que, peut-être, les parents d’enfants n’ont jamais entendu parler. On peut également initier un enfant à un sujet complexe et profond.

L’inclusivité de surface et l’approche de la littérature jeunesse

An : J’ai l’impression qu’aujourd’hui, dans les supports de communication, on a tendance à inclure une personne blanche, une noire, une arabe, une asiatique… pour affirmer : « Nous, on n’est pas raciste ! »  C’est le cas de nombreux catalogues d’entreprises, de la publicité ou des campagnes de communication de différentes enseignes.

Pour anecdote, durant mes années d’étude et même dans le milieu professionnel, il y a eu des fois où ma photo était choisie pour des supports de communication uniquement pour remplir un quota.

Chloé : Ça devait être bizarre… Même si je préfère qu’il y ait une diversité dans les magazines, c’est vrai que, parfois, l’idée est poussée à l’extrême.

Néanmoins je pense que le public n’est pas dupe. C’est déjà un effort, mais dans les faits, il y a encore beaucoup de racisme latent. Nous avons encore de gros progrès à faire.

Dans la littérature jeunesse, on ne s’est jamais dit : « Tiens, on fait un conte sur l’île Maurice, il faut absolument que l’illustrateur soit mauricien. » Par contre, bien sûr que l’illustrateur va se documenter. Peut-être qu’on va faire des impairs, mais il y a une documentation qui existe, il y a un style graphique, et un parti-pris qui va faire en sorte que les lecteurs perçoivent que c’est de la fiction.

Je pense à un cas très intéressant lié à la représentation de l’Afrique dans la littérature. Nous voyons très souvent dans les ouvrages, les images de la savane, les cases… Et il y a cette illustratrice, qui est Alexandra Huard, qui, justement, voulait casser ces clichés et montrer l’Afrique d’aujourd’hui, avec ses villes colorées.

Planche de l’album Le lance-pierres de Porto-Novo, illustré par Alexandra Huard. Source : alexandrahuard.com

Chez nous, on a publié un ouvrage qui s’appelle Binti la bavarde, qui est sur une petite fille qui habite à Mayotte. Cet album est le fruit d’une résidence d’auteur de la part de Véronique Massenot et de Sébastien Chebret. Ils ont monté leur projet à Mayotte, et ils y ont intégré plein de clins d’œil de la vie là-bas. Dans l’ouvrage, on retrouve des reproductions du street art qu’on peut retrouver à Mayotte. On est dans l’esprit des villes avec les marchés, les taxis, les tissus… Ce livre est à la limite du documentaire.

A gauche : Véronique Massenot lors d’une journée de lecture contée (Source : mayottehebdo.com) ; Au centre : des planches de Sébastien Chebret (Source : elanvert.fr) ; A droite : l’autrice et l’illustrateur (Source : Facebook ARLL-Mayotte)

Malheureusement, quand on fait un ouvrage sur un pays, on ne peut pas forcément faire une résidence d’auteurs. Et c’est bien dommage ! *rires*

Notre boussole ultime est l’envie

Chloé : Le lecteur a complètement le droit de choisir de lire, ou de ne pas lire un livre, s’il estime que ce n’est pas représentatif.

Je n’ai pas envie de faire d’erreurs. Mais je n’aurais pas envie de dire : « Tu n’es pas vietnamien, donc tu ne fais pas ce livre sur le Vietnam ! » Je n’ai pas envie de mettre les gens dans des petites boîtes. On ne peut jamais contenter tout le monde, alors, c’est au public de le recevoir. 

Je pense à Nian Shou un conte que nous avons édité. C’est vrai que quand l’Élan vert édite un conte chinois, nous allons préférer quand même être avec des costumes traditionnels, puisque c’est une histoire ancienne. Mais bien sûr que nous savons que la Chine actuelle ne ressemble pas à cette représentation. Quand nous travaillons autour des contes, comme le Petit Chaperon Rouge et le Petit Poucet, nous n’allons pas les habiller comme les enfants d’aujourd’hui, avec des baskets et des vêtements H&M. Nous estimons que c’est le monde des histoires qui nous pousse à rechercher pour donner envie de rêver.

De toute façon, à l’Élan Vert, on n’aime pas tellement l’ultra-quotidien.

Quand nous travaillons sur l’Egypte, nous abordons plus l’Egypte Antique que l’Egypte actuelle, parce que c’est un tel potentiel de rêve. Naturellement, on a eu envie d’être au temps des pyramides et pas en 2023.

Pour nos ouvrages, nous allons choisir le moment qui va plus porter au rêve, plus que se demander si on va froisser quelqu’un.

An : J’ai l’impression que, quand vous avez envie de publier un album, vous vous basez uniquement sur votre envie, et pas sur la peur de contrarier une personne ou un groupe de personnes ?

Chloé : Oui, on est une maison d’édition de coups de cœur. Nous avons des collections avec des introductions des œuvres d’art où nous allons faire des commandes. Mais nous réalisons les albums uniquement parce que nous avons un coup de cœur pour les textes. Il y a un vrai enthousiasme de départ autour des projets.

L’éditeur.trice et l’illustrateur.trice VS les retours négatifs

Toujours commencer par le but

An : Ça vous est déjà arrivé d’avoir des retours négatifs sur vos albums, notamment sur ceux qui parlent de sujets un peu controversés ?

Chloé : Des sujets controversés, nous n’en avons pas tellement, donc nous n’avons pas eu de retours négatifs là-dessus. Nous n’avons jamais été attaqués sur le fait d’avoir publié des contes du monde en ayant demandé à des gens, des français majoritairement, de s’en emparer.

Par contre, nous avons eu des critiques sur notre collection Pont des Arts.

Dans les albums de cette collection, on s’approprie complètement une œuvre d’art, et on raconte une nouvelle histoire. Quelque part, on désacralise l’œuvre. Certaines personnes étaient embêtées par le principe de faire ce qu’on veut avec un tableau, parce que chaque tableau a un contexte. De leur point de vue, ce n’est pas viable si on sort de ce contexte.

Mais nous, on s’adresse à des enfants. On veut qu’ils découvrent l’univers de l’artiste et qu’il y ait une vraie rencontre avec l’œuvre. Ce n’est pas interactif si on ne fait que défiler dans un musée. Alors que s’il y a une histoire derrière, une vraie rencontre se crée. L’enfant se l’approprie. Et si c’est sur Mondrian, Picasso, Matisse ou d’autres styles très reconnaissables, il associera l’œuvre à un style, et il reconnaîtra un Picasso.

Source : elanvert.fr

Il y a eu un vrai engouement autour de notre Petit Noun, un petit hippopotame bleu de l’Egypte antique. A la base, tous les amateurs de département égyptiens connaissaient ce petit hippopotame bleu, qui a été retrouvé en très grand nombre d’exemplaires et qui existe dans tous les départements d’égyptologie du monde. Mais en France maintenant, les enfants le connaissent aussi, et l’appellent Petit Noun, et même le musée du Louvre appelle cette œuvre le Petit Noun, alors que c’est sorti de l’imagination de l’auteure ! Et ça c’est génial, cette démarche a vraiment donné un prénom à une œuvre !

Source : elanvert.fr

Nous avons eu des reproches, comme des retours enthousiastes. Pont des arts est une collection qui a été défendue par l’Education Nationale, par Canopé pendant très longtemps. Les enseignants s’en sont emparés, et je trouve ça génial.

La seule critique acerbe qu’on a eu, c’était sur une œuvre qui concerne la Première Guerre mondiale. Nous avons reçu des reproches du genre : « Non, ce n’est pas possible, parce que en 1916, il n’y avait pas encore tel type de fusil, alors qu’il est représenté dans votre livre ! » Certes, c’est intéressant pour les personnes passionnées par la Première Guerre mondiale. Mais ce n’est pas l’essentiel pour un enfant qui reçoit l’histoire. Ce n’était pas le propos du livre.

Tomates ou roses, à nous de choisir

An : De nos jours, les auteur.trice.s ou illustrateur.trice.s comme moi, nous sommes très visibles sur les réseaux sociaux. Vu que c’est tellement facile d’entrer en contact avec les créatif.ve.s, sur ces réseaux, le public ose de plus en plus donner leur avis. Nous recevons donc souvent les retours directs en commentaires ou par messages privés.

Est-ce que vous avez des conseils pour les créateur.rice.s qui souhaitent exposer leurs œuvres qui représentent la diversité, en sachant que c’est un sujet qui attire les critiques ?

Chloé : J’ai envie que les artistes se fassent confiance. Mais c’est tout le monde des réseaux sociaux qui est extrêmement à double tranchant.

Quand on est un artiste et qu’on publie son illustration, c’est qu’on l’aime, c’est qu’on a envie de la partager, de la défendre plutôt que de recevoir des tomates. Je dirais aux créateurs de laisser les tomates et de plutôt prendre les roses, de choisir ce qu’on lit, ou même, de se protéger et de ne pas lire.

J’ai l’impression que les plus critiques sont ceux qui réfléchissent le moins. Il est donc important de prendre du recul.

Se faire remarquer par une maison d’édition : les conseils d’une éditrice

Instagram reste un outil formidable

Chloé : Malgré les inconvénients et les polémiques, la présence sur les réseaux sociaux reste un excellent moyen pour se faire connaître en tant qu’artiste. Quand nous cherchons de nouveaux illustrateurs, nous, l’équipe éditoriale de l’Élan Vert, nous allons souvent sur Instagram. Je sais que beaucoup de Directeurs Artistiques font la même chose. Instagram est donc un véritable outil pour les illustrateurs.

Après, il faut prendre du recul et alterner avec d’autres types de démarchage. Par exemple, n’hésitez pas à envoyer vos books par mail aux maisons d’éditions. N’hésitez pas non plus à suivre ce que font les différentes maisons d’éditions. Cela vous permettra de voir ce que les éditeurs attendent et comment votre style peut s’accorder avec leurs publications…

An : Merci beaucoup pour ces conseils. Justement, « Comment contacter les maisons d’éditions ?» est la question que je reçois souvent de la part des jeunes illustateur.trice.s qui me suivent sur Instagram. Et ce sont des questions que moi-même, je me suis posées.

J’imagine que vous recevez beaucoup de books d’illustrateurs ?

Chloé : Oui ! Et encore, on est une petite maison d’édition indépendante. Je n’imagine même pas ce que doit recevoir Gallimard ou Flammarion.

Mais si vous n’envoyez rien, nous ne pouvons pas vous connaître. En parallèle, faire vivre son Instagram permet de montrer qui vous êtes. C’est un vrai plus.

Pour un mail de prospection réussi

An : Vu que vous recevez beaucoup de books d’illustrateurs, est-ce que vous avez des conseils pour les jeunes illustrateur.trice.s, pour sortir du lot ?

Chloé : Je dirais aux illustrateurs de montrer aussi bien des personnages que des décors. Comme on est dans l’album jeunesse, on a besoin de décors, on a besoin d’une double-page, et pas seulement des personnages simples. On aime aussi voir comment vous pouvez faire vivre vos personnages, mais on aime aussi voir vos mises en scène, vos couleurs…

Et le meilleur des conseils, c’est de décortiquer ce que fait la maison d’édition, et de vous poser la question si votre style correspond à la maison d’édition ciblée. Puis, peut-être, en fonction de la ligne éditoriale de la maison, associer une ou deux images dans le mail pour montrer votre travail, pour « appâter » un petit peu les maisons d’éditions et leur montrer votre identité.

L’avenir des livres jeunesses

An : A l’heure à laquelle nous réalisons cette entrevue, la pénurie de papiers est une réelle crise. Est-ce que vous la voyez comme un danger pour le futur des livres jeunesses ? Et en dehors de la problématique de pénurie de papier, est-ce qu’il y a des problèmes spécifiques qui menacent l’évolution du secteur ?

Chloé : La pénurie de papier est un problème actuel qui ne va pas durer indéfiniment.

Ce qui nous avait permis de garder l’équilibre, c’était le fait d’imprimer à la fois en Asie et en Europe. Nous imprimions en Chine, où il n’y avait pas de pénurie de papier, mais le transport a été grandement chamboulé, donc nous nous sommes concentrés sur l’Europe. Nous imprimons maintenant 95% de notre production en Europe.

Maintenant, il y a une telle culture du livre jeunesse en France que je n’ai pas l’impression que le secteur puisse être en danger. C’est un milieu très riche, et qui intéresse les enseignants. A l’école, les enseignants essaient au maximum de donner aux enfants le goût de la lecture.

Mais, en même temps, malheureusement, il y a beaucoup d’enfants qui n’ont pas la chance d’avoir accès aux livres. Ils n’ont pas de bibliothèque chez eux.

Par contre, ceux qui ont accès aux livres, et qui aiment les livres, transmettront cet amour-là à leurs enfants. Un livre papier, c’est tellement un plaisir. Sortir la tablette pour lire un livre à son enfant, c’est beaucoup moins sympathique que de pouvoir prendre le livre-objet, de toucher, de tourner les pages… Il y a quelque chose de très cocooning car c’est un pur moment d’échange. Je suis certaine que mes filles, si elles veulent devenir maman un jour, voudront partager ça avec leurs enfants.

Stand des Editions de l’Elan Vert au congrès de l’AGEEM à la ville d’Albi. Source : Facebook Editions de l’Elan Vert

Peut-être que le livre papier intéressera de moins en moins de gens. Mais ceux qui sont intéressés sont très amoureux. Ces objets, ces moments de partages se transmettront de génération en génération. Donc, je ne suis pas inquiète pour l’objet – le livre. Je suis intimement convaincue que le livre papier est irremplaçable, qu’on arrivera à convaincre de nouveaux lecteurs du bonheur de la lecture, du partage d’une histoire.

Du côté de la production en France, c’est énormissime. Ce sont des milliers de livres qui sortent chaque année. Il y a beaucoup plus d’offres que de demandes, c’est donc très dur de se faire une place. Pour tous ceux qui veulent voir l’étendue de l’édition française en album jeunesse, il faut aller au salon de Montreuil la première semaine de décembre pour se rendre compte de la créativité. Il y a des choses tellement magnifiques et inspirantes qui existent et qui nous bluffent chaque année.

Source : Facebook Editions de l’Elan Vert

An : Une amie m’a dit qu’un album jeunesse se lisait en trois fois : une fois par le parent qui lit à l’enfant, la deuxième fois par l’enfant, quand il commence à apprendre à lire seul et qu’il va redécouvrir l’histoire par lui-même, et la troisième fois, c’est quand l’enfant devient parent, et qu’il transmet son livre jeunesse à son propre enfant.

Chloé : Oui, c’est vrai. Il y a toujours le plaisir de lire. Un livre jeunesse n’est pas lu généralement une fois, puis oublié. Quand c’est un favori, l’enfant le connait par cœur. Le livre est lu, relu, rerelu…

Certaines histoires, souvent celles qu’on n’attendait pas forcément, procurent un vrai enthousiasme chez l’enfant, un peu au même titre que le doudou : c’est cette histoire-là et pas une autre. Et c’est toujours un peu magique de voir un enfant s’emparer d’un livre.

Faites-vous confiance & Keep creating!

Tu Ha An


*L’article de Mademoiselle Coralie: https://mademoiselle-coralie577.blogspot.com/2016/03/

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