Cet article ainsi que l’interview ont été réalisés conjointement avec Jo, mon éditrice en cheffe.
« Les histoires de créations » est un rendez-vous, où à chaque saison de l’année, je vais à la rencontre d’une créatrice ou d’un créateur pour écouter son histoire. La création peut être le métier principal de nos invités, ou un parmi leurs métiers exercés, ou juste un pur hobby.
Avec les histoires de créations, j’espère casser les clichés qui creusent l’écart entre la vision du grand public sur les métiers créatifs et la réalité.
Personnage d’été: Ju_Lien
Cet article sera un brin d’air frais pour nos jours d’été, car nous irons à la rencontre d’un artiste qui a un univers complètement différent des mignonneries que nous avons l’habitude de voir sur ce blog.
Ju_Lien est un musicien suisse qui créé tout en solo. Ses sons sont expressifs, souvent sombres, mélangés avec de la mélancolie.
Il y a 3 ans, j’ai connu Ju_Lien grâce à Instagram. Enthousiaste, créatif et généreux, Ju_Lien a rapidement accepté de composer des sons sur mesure pour plusieurs de mes projets vidéo.
Malgré la distance géographique et les différences entre nos univers, Ju_Lien possède une polyvalence exceptionnelle qui lui permet de créer des sons distincts de son style habituel. Sa contribution musicale à des projets tels que le court-métrage Ça ira et sa reprise de la chanson pour enfants La semaine de la musique témoignent de son ingéniosité artistique.
Durant ces trois dernières années, sur les réseaux sociaux, notamment Instagram, Ju_Lien a traversé une phase active remplie de partages de contenus motivants, suivie d’une pause nette, avant un retour plus posé.
Aujourd’hui, Ju_Lien a accepté de discuter avec nous autour du lien avec la communauté qu’on crée, le lien parasocial difficile à cerner.
Nous découvrirons également la mentalité qui lui permet de poursuivre sa créativité tout en jonglant entre sa carrière musicale et un emploi traditionnel, sans laisser de côté sa présence sur les réseaux sociaux, même avec un nombre d’abonnés qu’on pourrait qualifier de « modeste ». Bien évidemment, lors de cette interview, nous tenterons d’explorer plus en détail la signification de ce terme « modeste ».
La bulle d’un soloiste qui adore partager
Le musicien dans l’âme
Tu Ha An (An) : Comment tu te présentes en tant qu’artiste ?
Ju_Lien : Je suis Ju_Lien, auteur-compositeur-interprète. Je fais tout en solo.
Mon univers est assez varié. Je pars dans les émotions qui me viennent pour composer. Un jour je peux faire de l’électro, un autre jour du rock, ou un autre jour encore, une ballade.
J’ai à cœur de transmettre quelque chose de fort et qui vibre en moi. J’ai une idée, ça me vient, et je travaille jusqu’à ce que ça sonne comme je l’ai dans la tête.
An : Ça fait combien de temps que tu t’es lancé de façon professionnelle dans la musique ?
Ju_Lien : J’ai commencé à monter mes premiers groupes en 2003.
Ju_Lien introverti ou Ju_Lien extraverti ?
An : J’ai l’impression que tu as un côté artiste qui crée dans sa bulle et qui a besoin d’avoir son flow. Cela ressemble beaucoup à des introvertis qui gagnent de l’énergie quand ils sont seuls.
Mais tu as également une grande facilité d’aller vers les gens, à les contacter directement par messages, et à animer des lives Instagram et des concerts, ce qui ressemble beaucoup aux fonctionnements des extravertis…
Tu te considères plutôt comme un introverti ou comme un extraverti ?
Ju_Lien : *rire* Je dirais que je me considère comme un extraverti, dans la peau d’un timide…
J’ai envie d’oser, parce que je me dis qu’il n’y a rien à perdre.
C’est vrai qu’on se met aussi beaucoup de barrière par rapport aux actions et par rapport aux gens. Alors qu’en face de nous, c’est juste un humain avec qui on partage, qui a des ressentis, des façons de comprendre des choses. Donc, si j’ai un message à faire passer, je le présente, et après on discute. J’ai envie d’ouvrir !
Il y a aussi ce côté introverti car quand je compose, je suis vraiment face à moi-même, face à la vibe. Et je me focalise pour capter l’essentiel.
Une fois que c’est capté et posé, c’est le rôle de Ju_Lien l’extraverti d’aller de l’avant et de faire péter tout ça, de faire partager à fond !
Mais, franchement, je préfère être extraverti.
Gérer une communauté quand on est un « petit » créateur
« Ma communauté me soutient car on se ressemble et on se retrouve. »
An : De nos jours, les chiffres deviennent très importants sur les réseaux sociaux : le nombre de followers, le nombre de partages, le nombre de likes…
On est à une époque où le million d’abonnés sur YouTube est devenu courant. Avec les influenceurs qui fleurissent sur Instagram, on voit souvent des comptes de 100 000 abonnés jusqu’à 500 000, voire le million.
Selon les normes sociales, ton nombre d’abonnés peut paraître minime.
Mais en 2022, avec 550 abonnés, tu as réussi à récolter 2 fois 150€ pour deux associations différentes, Rêves Suisses et l’Association de tricot pour prématuré Ville laine, qui te tiennent à cœur.
Comment as-tu construit cette communauté aussi engagée et soudée ?
Ju_Lien : Au début je suis venu sur Instagram parce qu’un ami m’a dit que ça pouvait être intéressant pour faire connaître ma musique.
J’étais un peu réticent, je n’étais pas en phase avec ce côté image. Mais par la suite, j’ai mordu dedans et j’ai trouvé que ça permettait vraiment de créer des liens.
Pour répondre à ta question : les gens se sont un peu greffés au fur et à mesure. C’est clair que quand on publie un post et qu’on le met en promotion pour que plus de gens le voient dans les stories, ça aide beaucoup.
Je pense que les gens dans ma communauté me soutiennent parce que, quelque part, on se ressemble et on se retrouve. Je suis sincère et authentique, je ne cherche pas à jouer quoi que ce soit, je fais sortir les choses comme elles viennent.
Au fur et à mesure j’ai pu faire ma marque, mon logo, puis, ma boutique de merchandising. Je fais gagner aux gens des bons cadeaux pour qu’ils puissent s’acheter des habits et des goodies sur ma boutique. C’est aussi ma façon à moi de les remercier.
Mais je n’ai pas forcément réfléchi à comment construire tout ça.
Je suis arrivé sur Instagram, j’ai posté au feeling. Puis, j’ai fait une pause. Ensuite, je suis revenu.
Et maintenant, je vis plus avec la musique, je fais plus souvent des live quand je compose, pour qu’il y ait un échange, en fait. C’est ça que j’aime.
Une communauté = une responsabilité
An : A tes débuts, tu étais très actif sur Instagram. Tu postais plusieurs fois par jour, tu faisais beaucoup de stories. C’est une pratique qui est aujourd’hui encouragée par l’algorithme et pleinement appliquée par plusieurs créateurs.
Puis, tu as fait une pause nette avant de revenir.
Acceptes-tu de partager cette période-là et nous expliquer ce qui t’a fait arrêter, et les réflexions tirées de cette expérience-là ?
Ju_Lien : C’était en juillet 2022. J’avais sorti mon deuxième album, j’étais en train de préparer le troisième avec déjà une quinzaine de titres, j’avais tourné le clip The F__king Sound.
A la base, j’ai envie d’aider tout le monde. Le problème arrive quand tu commences à avoir beaucoup de personnes qui te suivent. D’un coup, il y a une masse d’informations à capter, à comprendre, à partager. Et ça faisait beaucoup.
Ce n’est pas évident de gérer tout ça, en plus du contenu à poster, et du travail.
Il y avait des jeunes, entre 12 et 15 ans, qui m’écrivaient : « Je suis amoureuse de toi ! », et ce n’est pas possible !
Ce sont des signes qui me font dire que je dois savoir garder de la distance. Et j’avais tellement le nez dans le guidon quand j’étais sur Instagram la première fois que je n’ai pas eu cette distance de sécurité, ce qui a provoqué un trop-plein.
J’avais aussi une grosse réflexion au niveau de l’image. Je vois bien que Ju_Lien, c’est un côté artiste, et un côté « produit » aussi. Et il y a une façon de partager propre à chaque côté. Cette pause m’a permis d’avoir ce recul et de bien comprendre comment ça fonctionne.
Les réseaux sociaux sont des outils qu’il faut savoir utiliser. Quelque part, j’avais envie que les gens s’intéressent à ma musique, peu importe comment je suis.
Je me sens ultra-responsable de mes contenus : comment je les partage et comment ils sont reçus.
Ça me tient à cœur de partager pour faire du bien aux autres. Et ça faisait beaucoup de problèmes et de réflexions qui trottent dans la tête. Je n’étais pas prêt.
« Ce n’est pas forcément le chiffre que je recherche ! »
An : Et quand tu parlais d’aider les gens, tu veux dire « aider les gens avec ta musique » ou il y avait autre chose que tu faisais à ce moment-là ?
Ju_Lien : C’est principalement aider avec la musique.
Après c’est tout simplement dialoguer avec les gens. Parfois, avec certaines personnes, on s’appelle, et je suis là, je soutiens.
Mais quand on a cinq personnes qu’on écoute, c’est plus simple que quand on en a 200.
Je préfère avoir mon nombre d’abonnés et avoir autant d’interaction, que d’avoir 10 000 abonnés, 100 vues et pas de partage. Ce n’est pas forcément le chiffre que je recherche, mais c’est plus l’échange.
An : C’est vrai que souvent, les gens qui se lancent sur les réseaux sociaux ont cette peur d’avoir des haters.
Alors qu’il suffit de se lancer pour se rendre compte qu’au début, on va faire face au silence. On partage des choses qui nous tiennent à cœur, et il n’y a personne en face pour recevoir.
Même si d’un point de vue extérieur, ton nombre d’abonnés peut paraitre petit, tu as quand même créé la team On_Fire ! Qui est vraiment présente, et comme un noyau dur, et c’est remarquable.
Ju_Lien : J’ai la team On_Fire ! Qui est toujours présente. C’est énorme ! Je suis vraiment fier de tout ce qu’on partage.
Les vies en parallèle : « C’est partagé par petites bulles, mais ça fait un tout. »
An : D’après ce que j’ai compris, tu mènes deux vies en parallèle : ta vie d’artiste, et une autre vie plus conventionnelle à côté.
Comment tu la définis : plutôt alimentaire ou plutôt complémentaire ?
Ju_Lien : A côté, j’ai un travail à 100%. Mais la musique est ma vraie passion. J’ai besoin de m’évader.
Quand je compose, j’oublie tout et je me concentre vraiment sur ce que j’ai envie de transmettre. Mon travail n’est qu’alimentaire.
An : Tu jongles entre plusieurs rôles dans la musique, et entre le travail alimentaire et le travail artistique, sans oublier le rôle de maître de chat.
Comment tu fais pour gérer cet équilibre entre tes vies pros, dont la création artistique et le travail alimentaire, et ta vie perso, entre les relations parasociales et les relations dans la vraie vie ?
Ju_Lien : Quand je suis au travail, je suis au travail, mais j’ai tout le temps des écouteurs et j’écoute les compositions que je suis en train de faire pour voir ce que je pourrais changer.
Je suis à fond dans la musique dès que j’ai du temps de libre au travail, à la pause de midi par exemple.
Après, quand je suis avec mes amis, je suis avec eux… C’est partagé par petites bulles, mais ça fait un tout.
An : Je me souviens qu’une fois, tu as dit que tu ne voulais pas que tes collègues au boulot sachent que tu as une vie d’artiste ? Tu souhaites toujours séparer les deux ?
Ju_Lien : Jusqu’au début de cette année j’avais séparé, mais j’ai des collègues qui s’intéressent à mes activités, et du coup, je leur ai dit que j’avais un nouvel album et un clip qui sortait bientôt…
Maintenant, je suis plus en phase. Même au travail j’assume à fond mon côté artiste.
Et si un jour, Ju_Lien n’est plus soloiste ?
« Mince, je veux continuer… »
An : Est-ce qu’un jour tu te vois déléguer ?
Est-ce que tu as peur que le fait de déléguer casse ton image de soloiste qui fait tout, tout seul ?
Ju_Lien : J’ai eu des expériences de groupe avant, et ça s’est souvent arrêté parce que la musique n’était pas la priorité numéro un pour tout le monde.
Je comprends tout à fait que chacun a ses priorités, chacun a sa vie.
Je me suis retrouvé à dire : « Mince, je veux continuer… » Mais cela dépend trop des autres. Alors, je suis parti dans le côté solo.
En réalité, c’est dur. Parce que sur scène, le public n’est pas forcément dans l’idée qu’il y a un type, avec un ordinateur, qui lance des sons et qui chante, ou qui fait de la guitare sur des bandes musicales. Même moi, je n’ai jamais vraiment vu ça en concert. C’est vrai que pour vendre, ça dégage plus d’envie quand tu as un groupe.
Après, franchement, m’entourer, je ne dirais pas non.
Des fois on a envie d’avoir tout sous contrôle parce qu’on a peur de confier son bébé. Pourtant, quand on tombe sur les bonnes personnes, l’angoisse disparaît. Mais il faut trouver ces bonnes personnes.
Déléguer = lâcher le lien précieux ?
An : Est-ce que tu souhaites déléguer des parties qui ne touchent pas directement à la musique ? Par exemple, déléguer la partie communication ?
Ju_Lien : Oui, ça me plairait bien ! Parce que ça me permettrait aussi d’apprendre, car je n’ai pas du tout de formation là-dedans…
An : Dans le cas où tu as un Community manager qui gère ton compte Instagram, est-ce que ça te plaira ou est-ce que tu préfèreras garder ce lien direct avec ta communauté ? On voit que tu as une communauté engagée, qui est là pour toi.
Ju_Lien : Actuellement, c’est vrai que si je devais couper, ça me ferait mal, parce qu’il y a ce côté lien, ce côté famille, ce côté amitié.
Je pense que ça dépend aussi de ce que je veux faire et où je veux aller dans la musique. Si je veux vraiment aller plus loin, taper plus haut, je n’aurais pas le choix.
Mais, actuellement, j’aime ce contact. C’est ça aussi qui m’aide, qui me booste quand j’ai mes moments de doute.
D’ailleurs, j’ai fait un petit tableau avec les photos de la team On_Fire! Je le garde juste à côté de moi, comme ça quand je compose, j’ai toujours un œil sur la team et ça me fait du bien.
La pépite multipliée grâce à la communauté
An : Dans ta team On_Fire!, il y a d’autres artistes de musique aussi ?
Ju_Lien : Alors là, je commence un peu plus à creuser, à essayer de collaborer.
C’est intéressant de pouvoir découvrir d’autres artistes d’autres pays, ou même dans le même pays, et de pouvoir créer ensemble. C’est génial, c’est juste que… au début, on a peur !
Mais là, j’ai fait une collaboration avec un type sur YouTube, qui fait du métal. Un jour, il m’a dit : « Si ça vous dit de chanter, écrivez-moi et on regarde pour collaborer ! » Du coup j’ai fait une collaboration avec lui !
J’aime bien faire des collaborations car ça permet de chercher d’autres inspirations, d’explorer d’autres horizons, et de matcher avec l’autre.
Là je suis en contact avec deux-trois artistes suisses, on va voir comment on peut mettre une collaboration en place !
Et ça fait aussi plaisir de dire à la team de checker le profil d’un artiste, parce que c’est cool ce qu’il fait ! C’est ça, le partage.
Vous pouvez retrouver Ju_Lien sur Spotify, sur YouTube et sur Instagram
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Tu Ha An
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