La version figée

Mon pote écrit des poèmes.

… Et la façon dont je l’ai appris est spéciale.

Récemment, je suis tombée par hasard sur la page personnelle d’une connaissance sur un réseau social. Sa photo de profil débordait de bonheur avec les étincelles de joie brillant sur sa robe de mariée. Cependant, un détail m’a sauté aux yeux : son partenaire n’était pas la personne à laquelle je pensais.

Trois ans se sont écoulés depuis la dernière fois que j’avais croisé cette fille. A l’époque, elle formait un couple de longue date avec mon pote.  

Par curiosité, j’ai cliqué sur la page personnelle de mon pote. Et c’est comme ça que j’ai découvert qu’il écrivait des poèmes. Toutes ses créations englobaient le thème d’un amour achevé.

Le plus « logique » serait de conclure que ces poèmes sont destinés à elle, à cette nouvelle mariée aux yeux remplis de bonheur.

Mais ceci n’est que ma vision d’une réalité que j’ai construite en faisant un simple raccourci.

Ce n’est pas parce que la dernière version que je connais de mon pote est celle du « conjoint de cette fille » qu’il y est resté figé à jamais.

Subjectivement,

…en découvrant les éléments dans la même journée, c’est trop facile d’inventer un scénario digne d’un soap-opéra : elle a quitté son conjoint de 10 ans pour un autre. Il ne s’en remettait pas et a commencé à extérioriser son amertume dans les poèmes. 

Objectivement,

… je n’ai vu aucun des deux en 3 ans. Le fait qu’elle s’est mariée en premier ne prouve à aucun moment qu’elle l’a trahi. En 3 ans, il a peut-être vécu une douzaine d’histoires d’amour puis les a éternisées dans ses poèmes.

D’ailleurs, l’inspiration d’un.e créatif.ve ne naît pas obligatoirement de ses expériences personnelles.

On ne voit bien qu’avec le cœur, et pas avec des versions figées.

Ça m’arrive aussi d’être enfermée dans une version figée plantée dans la perception d’un autre.

Certaines personnes de mon entourage ne me voient que par la dernière version qu’ils ont connu et déduisent que tout ce que je crée a un lien avec une histoire ancienne, en particulier quand l’œuvre créée possède une ambiance mélancolique.

C’est peut-être la raison pour laquelle je suis plus à l’aise quand mes lecteur.trice.s de mon blog ou les spectateurs de mes vidéos ne me connaissent pas dans la vraie vie. Il y a moins de risque qu’ils cherchent à décortiquer le sens caché en essayant de coller une version figée du passé à une création d’aujourd’hui.

Je me souviens d’une conversation qui m’a estomaquée, à la fin d’une séance de projection d’un projet de court-métrage auquel j’ai participé. Alors que j’étais en train d’échanger avec l’équipe et un groupe de spectateur, un homme qui faisait partie de mon entourage s’est invité à la discussion :

« On sentait clairement la représentation de l’histoire entre toi et G. dans ce film ! Pas besoin de le cacher, je te connais, je comprends ta souffrance, surtout à travers de ce monologue qui ressemblait à un poème… »

Ce jour-là, toutes mes objections ont été interprétées comme du déni par cet homme, malgré les 3 ans qui séparaient ma version figée en lien avec G. et la projection du court-métrage.

Ce qui est hilarant, c’est que le monologue dans cet œuvre n’était pas le fruit de mon imagination. C’était mon pote qui l’avait écrit. Le même pote qui écrit officiellement des poèmes 3 ans plus tard.

Peut-être qu’il a toujours été un poète dans l’âme. Je ne m’en suis juste pas rendue compte avant. 

Finalement, la seule chose à garder en tête reste les faits.

Mon pote écrit des poèmes. Ces poèmes sont jolis. C’est tout ce qui compte.

Keep creating!

Tu Ha An

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