Ces lignes ont été rédigées la première fois en août 2021.
Dans la vie créative, j’estime que l’abandon le plus douloureux est l’abandon d’une idée que l’on chérit.
Mon grand-père maternel était un écrivain, un gardien de mémoire, un raconteur d’histoire. A ce moment même, si je ferme les yeux et pense à lui, je verrai l’image d’un vieil homme en train de prendre des notes et classer les photos de façon minutieuse dans un grand album familial.
Depuis toujours, j’avais une croyance assez vaniteuse que si un jour, papi devait choisir un de ses descendants pour poursuivre ses missions de gardien de mémoire, de raconteur d’histoire, l’élue serait moi !
Une des histoires qu’il racontait souvent était le retour au Vietnam dans les années 60 de mon grand-oncle, un Vietnamien qui tombait amoureux d’une Française. Leur voyage durant dix jours pour se rendre de Paris à Hanoï marquait le premier voyage civil au Vietnam après la guerre.
Des années passent, le destin m’envoie en France retrouver la famille franco-vietnamienne de grand-oncle. L’histoire du fameux voyage revient à chaque repas, avec joie et nostalgie. A cette époque, j’étais jeune et plein d’enthousiasme. La flamme en moi me glissait l’idée d’écrire un livre pour immortaliser cette histoire portant non seulement la valeur familiale, mais aussi une valeur historique de deux pays.
Je voulais devenir la nouvelle « raconteuse d’histoire ».
En 2019, je rentrais au Vietnam avec l’envie de passer du temps avec mon grand-père, et de commencer ce projet.
Néanmoins, pour plusieurs raisons, je me suis rendue compte que je ne suis pas la bonne personne pour raconter cette histoire. L’idée reste précieuse et intéressante à déployer, mais puisqu’elle ne m’est pas destinée, plus j’essaie de la serrer dans mes mains, plus vite elle glisse à travers mes doigts, comme du sable.
Depuis toujours, avec le caractère de guerrier hérité de mon grand-père, j’ai tendance à aller jusqu’au bout de chaque idée, même quand je savais qu’elle n’était pas faite pour moi, malgré l’investissement du temps, la perte de l’argent, la dégradation de ma santé ou la destruction des relations humaines. (Je suis une vraie tête de mule !) Pour moi, abandonner est 100 fois plus difficile qu’achever.
En 2019, pour la première fois, j’ai appris à abandonner une idée que je chéris. Cependant, j’espérais secrètement qu’une autre personne sèmerait cette idée à nouveau, et je me suis promise de l’aider à aller jusqu’au bout.
Juin 2021, mon grand-père décède.
Les Vietnamiens ont une coutume : pour ceux qui ont vécu plus de 90 ans, leurs funérailles seront appelées « hồng tang » (funérailles rouges), félicitant le défunt des bénédictions d’une longue vie. Les funérailles de mon grand-père, un centenaire, étaient un « hồng tang ».
Après le deuil et la gratitude, je réalise que l’idée a perdu l’occasion d’être concrétisée. Personne ne l’a semée. Mon regret imbibait mes pensées, accompagné par la douleur. L’idée a disparu à jamais avec le décès de papi.
Dans la vie créative, je crois que l’abandon le plus douloureux reste l’abandon d’une idée que l’on chérit.
Keep creating!
Tu Ha An
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Chloé
Tes mots sont poignants !! Je souhaite de tout cœur, qu’un jour, quand tu ne t’y attendras plus, que la bonne personne raconte cette histoire.
Tu Ha An
Merci Chloé, ton commentaire me touche beaucoup. Merci pour ton empathie.